Patrimonio : A San Martinu, entre festival de la ruralité et fête patronale

 

 

 

Du 3 au 9 novembre se tient, à Patrimoniu, dans le Nebbiu, le festival d’automne de la ruralité qui sera suivi, les 10 et 11 novembre, par A San Martinu, la fête patronale des vignerons et du partage. Concerts, conférences, échange de savoirs et découverte du patrimoine sont au programme de ce festival pionnier qui préfigure l’itinéraire culturel européen A Via San Martinu, qui traversera bientôt la Corse. Explications, pour Corse net Infos, de Christian Andreani, son initiateur.

 

- Qu’est-ce que ce festival de la ruralité ?

- Le festival d’automne de la ruralité, qui est le seul en Europe, est la préfiguration de ce que sera A Via San Martinu, itinéraire culturel du Conseil de l’Europe. C’est un festival pionnier qui sonne le réveil des territoires ruraux et la volonté de promouvoir une forme de tourisme et de développement. Nous voulons montrer que les territoires ruraux sont riches de possibilités en faisant, pendant sept jours, des choses qu’habituellement on ne fait pas sur ces territoires.

 

- De quelle forme de tourisme s’agit-il ?

- D’une forme différente, composée de marcheurs lents, « slow walking », qui viennent découvrir un territoire et appréhender les hommes et les activités, les producteurs et les produits, dans un souci d’éducation éthique. Notre volonté est de faire découvrir des aspects insoupçonnés du patrimoine et de réacquérir des savoirs. C’est une petite révolution dans la façon d’appréhender le tourisme, une offre complémentaire et non concurrentielle par rapport à l’existant.

 

- Pourquoi axer sur les territoires ruraux ?

- Force est de constater qu’il y a, en Europe, une grande amplitude entre le développement des territoires ruraux et celui des secteurs urbains. L’itinéraire culturel se propose de réduire cette fracture en faisant, sur le territoire rural, du développement. La culture est un élément central. Mais, certaines formes de tourisme n’existent pas en Corse. Les gens ne viennent pas pour le patrimoine.

 

- Le but est-il d’allonger la saison touristique ?

- Non. Plutôt faire en sorte que les activités économiques soient pérennes toute l’année. Le but est de ramener de la vie à des périodes creuses et de l’activité culturelle à la population. Ce n’est pas le phénomène « paillote » que l’on démonte en fin d’été. On ne démonte pas l’économie, les ponts génois, les églises romanes… Tout cela reste en place. Mais qu’on fait-on ? Les gens ferment à la fin de la saison touristique et attendent la prochaine saison. Si on se projette dans le monde de demain avec ce type de stratégie, on est mort !

 

- Pourquoi ?

- De nombreux pays, dont certains émergeants, possèdent du patrimoine. Nous, que faisons-nous de notre patrimoine ? Combien fait-il vivre de gens directement ? La problématique des petites communes est de l’entretenir. Il ne s’agit pas d’emmener des flux importants dans des endroits qui ne peuvent pas les supporter, mais d’avoir une réflexion sur ce type de développement par des politiques d’aménagement qui n’ont pas été menées jusqu’à présent.

 

- Préconisez-vous de changer de comportement ?

- L’itinéraire culturel, qui se développe en Europe, impose une véritable révolution des mentalités. Il s’axe sur le concept de « bande verte », c’est-à-dire le respect des sites naturels et de l’environnement. C’est un itinéraire d’écotourisme qui attire des gens ayant, déjà, ce type de comportement et désireux de faire du tourisme autrement. Avec la crise économique, même la saison estivale connaît des problèmes, on ne pourra plus continuer comme par le passé, il faut attirer d’autres touristes. Nous avons de grands atouts, mais nous n’en parlons pas. Nous sommes pauvres de nos richesses ! Aussi l’Office du tourisme de la Corse (OTC) tend-il une oreille intéressante et intéressée vers ce projet que nous portons !

 

- En quoi ce festival de la ruralité préfigure-t-il l’itinéraire culturel ?

- La Via San Martinu va traverser la Corse. On ne peut pas mettre n’importe quoi sur l’itinéraire. Il faut donc réfléchir à la problématique. Pourquoi vient-on en Corse ? Pourquoi va-t-on sur un itinéraire culturel ? Pourquoi le chemin de Compostelle a-t-il du succès ? Ce n’est pas un itinéraire de pèlerinage. C’est un moyen de rencontrer l’autre, un questionnement sur l’autre, l’étranger, mais aussi sa valorisation. On s’intéresse aux différences et on les appréhende avec sérénité parce qu’on a des choses à échanger. La valorisation des patrimoines permet d’échanger avec l’autre. L’itinéraire de Saint Martin porte la notion de partage. On va partager la connaissance d’un personnage commun à toute l’Europe mais sous une forme locale.

 

- C’est-à-dire ?

- En donnant une vision d’éléments patrimoniaux épars existant depuis le 4ème siècle. Un pré-inventaire établit que plus de 63 communes corses ont du patrimoine martinien, du paléo-chrétien jusqu’au 20ème siècle. Tout ce qui a trait aux dominantes agricoles et à la nourriture est lié à San Martinu, qui amène l’oie et le vin. Pour sacraliser les récoltes, on invoque San Martinu. On goute le vin nouveau le jour d’A San Martinu qui est, en Corse, le patron des vignerons et de l’agriculture. Ce personnage exceptionnel, à la fois saint, exorciste, psychopompe, évêque, symbolise le grand conflit entre le pastoralisme et l’agropastoralisme. Comment concilier l’espace pastoral libre et l’agriculture proprement dite ? C’est un problème d’aménagement du territoire.

 

- Quels sont les temps-clés du programme ?

- Le festival débute, ce samedi, avec un botaniste sarde qui ne fait pas une simple conférence sur les plantes, mais sur l’usage des plantes et la circulation des savoirs en Europe. A sa suite, Antoine-Marie Graziani évoquera les relations ambigües entre Luca et la Corse en montrant que notre rapport à l’Italie est complexe, c’est un rapport de rejet. Pourtant, nous sommes dans le même bain culturel, surtout avec la Ligurie d’où provient la plupart de nos chants que nous chantons encore aujourd’hui : A Sposa, Catarinetta… Les joyaux architecturaux insulaires sont des églises pisanes construites par des maitres maçons pisans : San Michele à Muratu, A Canonica, la cathédrale du Nebbiu…

 

- Vous parlez de valorisation de l’autre. C’est le thème d’une des journées…

- Le 6 novembre, des étudiants et des chercheurs parleront d’émigration. L’écrivain, Marie Ferranti, racontera les itinéraires de voyage et d’errance en Méditerranée à travers un lord anglais qui chassait à courre dans les Agriates. En soirée, est prévu un concert sur le thème de l’errance et du voyage.

 

- Pourquoi, dans un festival de la ruralité, consacrer une journée à Bastia ?

- Je n’oppose pas le patrimoine urbain au patrimoine rural. En Corse, la plupart des villes sont récentes. Bastia était entourée de communes rurales qui lui offraient une certaine prospérité. Des gens venaient tous les jours apporter leurs produits en ville. Au 17ème siècle, à San Ghjisè, un autel était dédié à San Martinu parce que c’était le saint de la corporation des agriculteurs. A Santa Maria, un tableau du 19ème siècle le représente avec Santa Zita de Luca, patronne des fleuristes. On trouve, dans cinq oratoires de Bastia, une représentation picturale du saint. L’Eglise Saint Charles abrite sa statue. La ville regorge de traces historiques le concernant. Le fleuve, qui coule à Suerta, s’appelle U Bon Martinu. A Biguglia, une fontaine se nomme : la Martinella. Et, ce n’est qu’un pré-inventaire. Tant d’autres choses restent à découvrir. San Martinu était le référent absolu car il était invoqué depuis le 4ème siècle.

 

- Une part importante est également accordée aux contes. Pourquoi ?

- On ne rêve plus, notre imaginaire n’est plus alimenté par des récits légendaires du monde ancien, qui ont fait la Corse. Les grandes fêtes, Santa Andria ou Santa Lucia, s’inscrivaient dans le calendrier des grands moments de notre société. A San Martinu est aussi la fête de la lumière car le 11 novembre se situe à une période d’entrée dans le cycle de l’Avent. A San Martinu est quelque chose d’extraordinaire en Italie, à Naples et en Suisse. Au Portugal, on goûte, ce jour-là, les châtaignes avec du vin, cela se faisait en Corse aussi. Les enjeux dépassent la simple fête et pose la question de savoir ce qu’on valorise.

 

- Découvrir le patrimoine est-ce le but des itinéraires pédestres ?

- Nous avons voulu montrer que la culture ne se limite pas aux spectacles. Nous proposons un itinéraire de découverte de l’art roman qui part de A Canonica et va jusqu’à San Michele di Muratu et Saint Florent. Un 2ème itinéraire est un parcours urbain autour des oratoires des confréries à Bastia. Le 3ème itinéraire est un parcours pédestre qui part de l’église de Pieve vers A Chjesa Nera. Il s’agit d’inciter les marcheurs à découvrir la Corse autrement. La volonté de l’itinéraire est de transmettre les savoirs. Ces routes, qui ont fait la Corse et ont été façonnés par des siècles de pratiques pastorales, il faut en parler, les valoriser… Le partage des ressources, des richesses, des connaissances et des savoirs est capital.

 

- Est-ce, pour cela, que vous proposez des stages de pratique musicale, vocale et instrumentale ?

- Le cœur de l’itinéraire est la diffusion des savoirs et l’échange avec d’autres cultures à partir d’un dénominateur commun qui est la volonté, bien sûr, de s’enrichir intellectuellement et d’enrichir le territoire. Un festival, ce n’est pas qu’un moment où l’on consomme des choses, c’est un moment où l’on échange des savoirs. La Corse se prévaut d’un riche patrimoine immatériel. Ces stages permettent d’appréhender, à la fois, nos formes d’expression culturelles et celles des autres. Le 8 novembre, les stagiaires et les musiciens connus qui restent en résidence vont partager le même espace et se produire ensemble.

 

- Bénéficiez-vous de soutiens ?

- Nous avons le soutien du Conseil de l’Europe, qui suit attentivement le développement de la manifestation et aide à l’amplifier, et des soutiens locaux de la CTC, l’ODARC, la langue corse… C’est grâce à notre stratégie et à nos actions en matière culturelle depuis 20 ans sur le territoire de la Conca d’Oru et du Nebbiu que nous avons attiré l’attention du Conseil de l’Europe. Depuis six ans, des gens viennent jauger cette manifestation et la dynamique qui en découle. La Corse est force de propositions pour l’itinéraire européen.

 

Propos recueillis par Nicole MARI

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Commentaires: 1
  • #1

    Piereschi (jeudi, 07 novembre 2013 21:32)

    Bonsoir,
    J'ai participé aujourd'hui dans le cadre du festival à l'itinéraire de découverte à Rutali.
    Je suis retraité et j'ai un peu de temps à consacrer à une association et si vous avez besoin d'éléments pour porter votre projet que je trouve intéressant je serais partant. Je ne sais pas dans quel domaine je pourrais me rendre utile, mais il sera temps d'en parler si vous me recontactez.
    Encore bravo pour vos événements.
    Salutations