Tout juste installé à la tête du Tribunal de Grande Instance (TGI) de Bastia en remplacement de Françoise Bardoux, Francis Bihin livre, à Corse Net Infos, ses premières impressions sur la juridiction insulaire. Circonspect, il se dit serein, mais avoue la spécificité d'une affectation en Corse. Il se fixe comme priorité de réduire le délai de jugement des affaires.
- Dans quel état d'esprit venez-vous en Corse ?
- Je viens dans un état d'esprit serein. Il me semble que l'île mérite un intérêt. S'il y a des dérapages, si on a pu constater qu'un certain nombre de faits, qualifiés de délictueux ou de criminels, avait pu se commettre, il faut attendre l'issue de toutes les enquêtes pour pouvoir porter un jugement sur les affaires.
- Vous arrivez dans un contexte difficile. Comment l'appréhendez-vous ?
- Pour l'instant, je prends le temps de réfléchir et de mesurer l'ensemble des tenants et des aboutissants de ces affaires. Il serait prématuré de vouloir porter un jugement immédiat sur une situation que je maîtrise fort mal.
- Prend-on un poste de magistrat en Corse comme on le prend ailleurs ?
- Non. On ne prend pas un poste en Corse comme on le prend ailleurs. C'est une île qui a déjà un passé et une réputation qui, même dans les régions du Nord, a réussi à traverser les kilomètres qui nous séparent.
- Y a-t-il une grande différence entre ce que vous avez vécu, en tant que magistrat à Soissons, ressort important, et ce que vous vivrez à Bastia ?
- Oui. Il y aura certainement une très grande différence, ne serait-ce que par la géographie, la population, la démographie et toutes les caractéristiques de ces régions. Je viens de Picardie où le paysage est formé de grands champs, de remembrements à perte de vue et de voies tracées. L'importante industrie agro-alimentaire est en train de péricliter. Le contentieux est de nature radicalement différente. Ici, on est dans un contexte géographique et démographique différent, un contexte montagneux. Le contentieux s'en ressent immédiatement !
- Avez-vous des craintes ?
- Aucune ! Je n'ai aucune crainte.
- A ce nouveau poste, s'ajoute une nouvelle politique pénale à mettre en oeuvre. Comment la concevez-vous ?
- Pour l'instant, je n'en connais pas encore les contours exacts. Il serait beaucoup plus intéressant de l'analyser dans le détail avant de prendre position et de donner des commentaires plus précis. Mais je pense que c'est le procureur qui est, au premier chef, concerné par cette politique, le siège ne venant qu'en deuxième lieu pour traiter des dossiers qu'on voudra bien nous soumettre.
- Dans votre discours, vous vous êtes adressé aux avocats. Que tenez-vous à leur dire ?
- Que je désirais poursuivre un travail en concertation. Lorsque je suis arrivé et que je me suis présenté au bâtonnier, j'ai vu voir que les liens, qui existent entre le barreau et la juridiction, sont de bonne qualité. Nous sommes, les uns et les autres, très proches de par nos professions. Nous devons avoir une proximité sans connivence, c'est-à-dire que, pour garantir une bonne justice, il faut que l'avocat et le juge restent, chacun, dans les attributions qui lui sont dévolues.
- Les avocats s'élèvent contre la délocalisation des affaires au profit de la JIRS de Marseille. Quelle est votre position ?
- Je pense qu'il faut appliquer les règles de compétence et de procédure pénales. Si la JIRS (Juridiction inter-régionale spécialisée) peut être compétente, il n'y a aucune raison que la JIRS ne soit pas saisie.
- Beaucoup y voient une critique et un manque de confiance envers les magistrats insulaires. Comment réagissez-vous ?
- Je ne réagis pas. Je ne réponds pas à ce genre de critique. C'est par le traitement des dossiers au quotidien que la confiance s'instaure.
- Quelle est, selon vous, la principale difficulté que rencontre un président de TGI ?
- La principale difficulté d'un président de TGI est de trouver l'équilibre entre les fonctions d'administration du tribunal et les fonctions juridictionnelles. Le rôle d'un juge est de juger. On a tendance, si on n'y prend garde, à privilégier les fonctions de juridiction sur les fonctions d'administration. Or, le rôle d'un président est de mettre de l'huile dans les rouages et de permettre le bon fonctionnement et le bon travail de ses collègues. Donc, il doit renoncer à une partie de ses fonctions juridictionnelles pour s'investir davantage dans ses fonctions d'administration.
- Est-ce d'autant plus nécessaire en pleine modernisation de la justice ?
- Absolument ! L'introduction de moyens informatiques est une révolution dans les méthodes de travail. L'électronique gagne toutes les procédures. Il faut que ces méthodes de travail, qui nous sont données, puissent être mises en oeuvre effectivement.
- Cette modernisation sera-t-elle bientôt achevée ?
- La modernisation au tribunal de Bastia est en train de s'achever. Dans l'année qui vient, la totalité des réformes de modernisation trouvera sa pleine application.
- Allez-vous, au TGI, continuer sur la ligne de votre prédécesseur ou focaliser votre action sur d'autres points ?
- Mme Bardoux m'a laissé un tribunal en parfait état. Je n'ai, si j'ose dire, qu'à poursuivre son oeuvre et le trait qu'elle a bien voulu tracer. Il suffit d'imprimer sa patte, son empreinte personnelle sur tel ou tel petit détail de procédure ou de traitement de certains contentieux. Il ne s'agit pas d'une révision complète de la marche du tribunal, seulement d'une action à la marge.
- Vous avez fixé l'objectif de réduire les délais de jugement. Est-ce réalisable en ces temps de restriction budgétaire ?
- Oui. Il est certainement probable de faire beaucoup mieux avec moins de moyens. C'est tout le pari qu'on doit relever. La réduction des délais de traitement dépend d'une méthode d'organisation au quotidien. C'est une préoccupation à remplir au jour le jour. Il s'agit de voir comment on peut, à toutes les étapes de la procédure, réduire ces délais. Il y a encore des marges possibles de progression.
Propos recueillis par Nicole MARI
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