Une grammaire corse " identitaire " ?

L'identité  de la langue pourrait être définie comme l'ensemble complexe des données caractéristiques et fondamentales qui permettent son identification et garantissent son authenticité. 

Aucun des "opérateurs linguistiques" corses (enseignants, lettrés, traducteurs…) n'a le but avoué de travailler à la construction d'un modèle de langue. Pour la majorité des auteurs et écrivains, "engagés" notamment, la langue corse existe, c'est une conviction, un postulat qui rend superfétatoire le travail des linguistes: "a lingua corsa hè UNA... Ci hè  bisognu ch'elli a dicanu i linguisti?" (Franchi, Rigiru 1988)

Le travail sur la langue consisterait simplement à la restituer de manière la plus fidèle possible, conformément aux caractères intemporels et donc éternels de son identité, de son "génie".

Une norme communautaire?

Un tel préambule est en contradiction avec l'opinion des linguistes, qui observent par exemple que l'apparition d'une pratique habituelle d'écriture dans une langue donnée peut être considérée comme une amorce de "standardisation" (Renzi 1990), c'est-à-dire une étape vers la création progressive ou la reconnaissance d'une variété destinée à servir de modèle ou de norme communautaire, avec une volonté plus ou moins consciente d'unification.

Selon une certaine conception, il n'est point besoin d'unification puisque la langue corse est une et il n'y aurait aucun avantage à standardiser ou normaliser une langue où la différenciation interne ne fait jamais obstacle à la communication (Arrighi, Rigiru 1988).

Pas de hiérarchisation, pas de standard

Cette dernière affirmation est parfois contestée. Quoi qu'il en soit il y a un accord pour rejeter toute idée de hiérarchie entre les variétés régionales (en général appelées dialectes) constitutives de la langue corse. En fait aucune variété identifiée, aucun auteur d'aujourd'hui ou d'hier n'est choisi comme norme ou modèle de base d'un hypothétique "standard". De ce point de vue le corse semble donc représenter une exception unique, au point que certains se demandent si la "langue polynomique" (Marcellesi 1984) ne serait pas en réalité un choix tactique, une étape provisoire inévitable vers le but stratégique de la langue standard "mononomique", qui caractérise aujourd'hui toutes les langues statutaires, c'est-à-dire celles qui font l'objet d'un enseignement obligatoire, au moins à l'école primaire (Banfi 1993).

La diffusion normative

C'est ainsi que se développe une phase de diffusion qu'il faut bien appeler normative, sans qu'il y ait eu de codification officielle explicite comme c'est le cas habituellement. Une telle diffusion se fait parfois à l'initiative des autorités académiques et politiques, avec la distribution dans les écoles d'instruments didactiques (manuels d'enseignement, grammaires, dictionnaires…) réalisés grâce à des financements publics.

Les opérateurs linguistiques concernés sont les groupes, les associations culturelles ou les individus qui mettent sur le marché linguistique des "règles", des néologismes (de nécessité ou de "luxe"), parfois des termes archaïques employés dans des acceptions ou des contextes nouveaux, sans qu'il soit toujours possible de savoir s'il s'agit de création totale ou partielle, d'archéologie linguistique, ou d'emprunts plus ou moins déguisés à d'autres langues.

Une codification "rampante"

En réalité on assiste depuis plusieurs années a une sorte de codification qui ne dit pas son nom, déguisée et désordonnée. Les grammaires corses, qu'elles se disent normatives, descriptives ou polynomiques, font des choix (parfois contradictoires) et prononcent des exclusions (nous en donnerons quelques exemples).

Cette sorte de régulation linguistique produit à la fois des effets positifs (développement de la langue et de son statut, renforcement du sentiment identitaire) et des effets négatifs (, incohérence normative, répression abusive, insécurité linguistique).

Entre le marteau du français et l'enclume de l'italien

En schématisant, on peut dire que l'usage corse est aujourd'hui influencé par deux types de normes: celles qui lui viennent du contact massif avec le français, et celles qui sont promues par les opérateurs linguistiques qui tendent à promouvoir des normes hétérogènes, inspirées notamment par un modèle italien aujourd'hui mal connu des Corses, avec comme résultat de nombreux phénomènes d'hypercorrection (Chiorboli 1997.

Il faudrait y ajouter la tendance à l'écart maximum par rapport aux langues citées, avec comme conséquence l'éclosion d'un mode d'expression ésotérique, qui revendique l'hermétisme comme un gage d'authenticité et qui a droit de cité notamment dans les médias.

Cette opposition entre l'usage linguistique vivant de la communauté et les pratiques observables est une constante pour toutes les langues écrites. Elle recoupe la théorie de l'opposition entre "modèle réel" et "modèle construit". Dans cette optique on a la construction d'un modèle linguistique comme on a celle d'un modèle économique, considéré comme plus ou moins "identitaire", c'est-à-dire authentique, durable, soutenable etc.

Observer et analyser l'évolutions des usages et des "normes"

S'agissant de l'usage linguistique et de l'évolution des normes, le domaine privilégié d'observation est constitué par les productions en langue corse écrite et formelle. La "communication institutionnalisée" (Corbeil 1983) couvre aujourd'hui un champ très vaste: système d'enseignement, administration publique, institutions économiques, industries culturelles (édition, mass média); littérature, publications scientifiques et techniques…

C'est ce corpus, constitué de matériaux vérifiables, c'est‑à‑dire d'échantillons linguistiques référencés de manière précise, qui nous fournira des exemples concrets pour illustrer notre propos.

Dans notre prochaine rubrique nous nous pencherons sur le "mode d'emploi" des équivalents corses qui correspondent au français "quelque" (lexique, orthographe, syntaxe).

                                                                                                                Jean CHIORBOLI

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Commentaires: 3
  • #1

    Norbert Paganelli (mardi, 28 août 2012 08:37)

    Bravo pour cette limpide et fort pertinente analyse. Il me semble aussi qu'il existe, qu'on le veuille ou non, une sorte de normalisation rampante même si on continue d'afficher haut et fort d'étendard de la polynomie.Vous avez mis des concepts précis sur ce que je ressentais confusément. C'est toujours vraiment passionant de vous lire.

  • #2

    Kasha Felch (lundi, 23 janvier 2017 03:56)


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  • #3

    Cornelia Porco (mardi, 31 janvier 2017 19:02)


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