Jean Chiorboli, qui animera prochainement une rubrique pour Corse Net Infos, nous a fait parvenir son point de vue sur le projet de cooficialité de la langue corse.
"Le projet de coofficialité de la langue corse [avec le français], en cours d’élaboration à la CTC, n’en finit pas de provoquer passions et polémiques sur fond de manœuvres
politiciennes". C'est ce qu'on peut lire sur le site de Corse Net Infos en préambule à l'interview de Pierre Ghionga, porteur du projet de la Collectivité
territoriale de Corse, qui a notamment déclaré: "Il ne faut surtout pas faire l’erreur de politiser la langue".
La question de la langue est pourtant, depuis toujours, un problème politique majeur qui s'impose à toutes les instances, locales, nationales ou internationales. Depuis plus de cinquante ans des programmes de coopération européenne sont menés dans ce domaine par l’Unité des Politiques linguistiques (Conseil de l'Europe, http://www.coe.int/t/dg4/linguistic/default_fr.asp).
Au plan régional, l'Assemblée de Corse a récemment adopté une Feuille de route Langue Corse 2011-2014 (http://www.corse.fr/linguacorsa/Fogliu-di-strada-lingua-corsa-2011-2014-presentee-par-Pierre-Ghionga-devant-l-Assemblee-de-Corse-en-juillet-2011_a9.html) qui a été diversement accueillie.
Le projet est très ambitieux, voire révolutionnaire au moins sur le papier. La nouvelle organisation prévoit plusieurs services: formation et diffusions linguistiques, Conseil de la langue. Il s'agit donc bien de politique linguistique:
On appelle politique linguistique, aménagement de la langue ou aménagement linguistique, toute politique conduite par un État ou une organisation internationale à propos d'une ou plusieurs langues parlées dans les territoires relevant de sa souveraineté, pour en modifier le corpus ou le statut, généralement pour en conforter l'usage, parfois pour en limiter l'expansion, ou même œuvrer à son éradication (wikipedia).
Ce qui est remarquable c'est que la question est prise en charge à un niveau régional, dans le cadre d'un état fortement centralisé, avec comme corollaire prévisible des obstacles de nature juridique et politique. Sur le site même de la CTC (http://www.corse.fr/linguacorsa/Approche-de-l-enseignement-de-la-langue-corse_a80.html) un article rappelle:
...en 1983, les élus de l’Assemblée de Corse votent à l’unanimité en faveur du bilinguisme, de la maternelle à l’Université. Ils se heurtent néanmoins à la fin de non recevoir du Premier Ministre Pierre Mauroy. À la suite de ce désaveu, l’Assemblée de Corse fera preuve de pusillanimité au sujet de la question linguistique (Quenot 2009).
D'aucuns voient déjà dans le statut de co-officialité un projet voué à l'échec dès lors qu'il risque de s'opposer aux instances nationales. Les porteurs du projet en sont sans doute conscients, et sont parfois soupçonnés de "caresser dans le sens du poil" certaines franges de l'électorat, cela sans coup férir dans la mesure où ils pourraient ensuite s'abriter derrière un éventuel veto politique ou constitutionnel.
Aménagement linguistique
Dans le domaine de l’aménagement linguistique on distingue d'ordinaire deux aspects :
L’aménagement linguistique est cette somme des efforts conscients, délibérés et soutenus faits pour changer la forme, la fonction ou le statut d’une langue dans une société. Il peut porter sur le corpus (normalisation, codification, modernisation du vocabulaire) comme sur le statut (élargissement des domaines d’usage et amélioration de la perception du statut; Haugen 1972).
Le projet de la CTC vise à la fois le statut et le corpus de la langue. Si l'aménagement du statut est un élément essentiel, c'est l'aménagement du corpus qui à notre sens constitue la véritable nouveauté.
Le Conseil de la Langue corse est conçu comme l'équivalent de l'académie française, et des académiciens en feront partie. "U Cunsigliu di a lingua chì ghjè l'Accademìa di a lg corsa ,... serà in carica di nurmalizà a lingua" a expliqué P.Ghionga (http://www.dailymotion.com/video/xsop78_ghjurnate-2012-dibatittu-lingua-corsa_news).
Un "vrai dictionnaire"
Comme pour l'Académie Française, la première tâche sera de promouvoir un "vrai dictionnaire" car selon P.Ghionga (les académiciens "fixent les mots") les travaux lexicographiques existants laissent à désirer. Normaliser la langue signifierait avant tout:
"fà nasce un veru dizziunariu, ci sò stati travagli fatti da parechje persone ma ùn ci hè mai statu un travagliu scentificu, avemu da pruvà di fallu"
Depuis longtemps on déplore (mais on "fait avec") l'absence d'une vraie critique dans le domaine de la production littéraire et des travaux linguistiques (dictionnaires, grammaires, "remarques" sur la "bonne syntaxe" du corse). C'est pourquoi il faut souligner le caractère exceptionnel d'un tel jugements négatif, émanant d'un personnage public, concernant des ouvrages qui ont bénéficié de subventions publiques.
Il n'est pas habituel que le pouvoir politique intervienne sur des questions de "linguistique interne".
Touche pas à mon POF (Paysage Orthographique Français)
On se souvient de la dernière réforme orthographique "commandée" par le Premier Ministre de la France en 1989. Les rectifications présentées par le Conseil supérieur de la langue française ont reçu un avis favorable de l’Académie française à l’unanimité, et ont été publiées au Journal officiel du 6 décembre 1990. Mais devant la levée de boucliers (orchestrée par quelques "personnalités" opposées à la réforme) le gouvernement a dû faire marche arrière, et renoncer à imposer la "Nouvelle Orthographe" qui est définie aujourd'hui comme "l'Orthographe Recommandée". Trente ans après "en France, cette réforme, peu enseignée, reste largement ignorée et son application varie d'un professeur et d'un dictionnaire à l'autre". Au moment où une "Académie Corse" est annoncée, il faut avoir à l'esprit que les décisions venues d'en haut ne sont pas toujours bien reçues, notamment quand il s'agit de "normalisation linguistique".
L'orthographe du français reste arbitraire
Le niveau des élèves en orthographe continue d'inquiéter le gouvernement (français). Périodiquement s'élèvent des lamentations sur ce sujet. Ce phénomène a certainement des explications diverses et complexes. Mais on devrait évaluer ce même niveau chez des adultes, y compris les plus "instruits". Comme l'indique d'Alain Rey, responsable des dictionnaires Le Robert:
"le problème fondamental c'est le fait que l'orthographe française est largement arbitraire" (émission de Canal+, 25 avril 12h30).
Pendant l'émission citée, on a "administré" aux chroniqueurs une dictée de 4 lignes. Certains d'entre eux, journalistes professionnels à la compétence reconnue, ont fait 4 fautes (1 par ligne). Ces lacunes seraient donc encore plus "inquiétantes" que celles des écoliers? A moins que le bonnet d'âne doive plutôt être attribué à "ces guignols d'académiciens parisiens ont fait de cette langue quelque chose d'abracadabrant" (http://www.ledevoir.com/societe/education/278721/pour-la-reforme-de-l-orthographe).
Au cours des championnats d'orthographe chers à Bernard Pivot, on a vu des professionnels à "BAC + 50" se réjouir de n'avoir fait "que 10 fautes" à la fameuse dictée, ce qui ne manque pas de provoquer les sarcasmes des observateurs étrangers, notamment dans les pays de langue romane. Pour eux en effet l'idée même d'un concours d'orthographe est saugrenue, et n'a aucun intérêt dans les langues où l'écriture est "phonétique": les écoliers italiens ou espagnols apprennent l'orthographe à l'école primaire, et ne font pratiquement plus de fautes par la suite.
En revanche dans les pays francophones chacun -y compris les profs- est contraint de garder toute sa vie un dictionnaire à portée de la main pour dissiper ses doutes orthographiques. L'orthographe française est en effet un monument d'incohérence et de complexité, même si l'anglais n'est pas piqué des vers non plus (voir les concours de spelling très prisés par les écoliers américains).
Campiunati d'ortografia corsa (à usu francese)
On notera donc que les championnats d'orthographe ne concernent pratiquement que la langue française. Ainsi que la langue ... corse pour laquelle ont été organisés des "campiunati d'ortografia": les motifs invoqués sont divers: c'était une manière de "singer" le système français, ou de reconnaître que l'orthographe du corse s'est (récemment) "enrichie" de certaines complexités (dont selon nous elle aurait pu faire l'économie). Les mauvaises langues diront qu'il s'agit d'une tendance pernicieuse, d'une "déformation" acquise par tous les Corses à l'école du français, après la démocratisation de l'enseignement.
En France les rectifications orthographiques proposées en 1990 par le Conseil supérieur de la langue française ont été approuvées par "des grands spécialistes et amoureux du français" qui "ne sont certes pas des partisans du nivellement (ou nivèlement, selon l'orthographe recommandée) par le bas. Ils constatent simplement qu'une langue vivante doit évoluer, notamment en supprimant des anomalies ou des irrégularités qui embêtent même ceux qui maîtrisent (ou maitrisent) le français".
Le passage que nous venons de reproduire (blog cité), donne des exemples des simplifications de la réforme de 1990: " L'accent circonflexe disparait sur les lettres i et u" (maitriser). Concernant les anomalies "réaccordées", on écrira "charriot" sur le modèle de "charrue" (voir RENOUVO (Réseau pour la nouvelle orthographe du français: http://www.renouvo.org/ ).
Mais pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué? La réforme (raisonnable) de 1990 a suscité une levée de boucliers telle que le gouvernement a dû faire marche arrière, si bien que les rectifications orthographiques "sont officiellement recommandées, sans toutefois être imposées" (http://www.orthographe-recommandee.info/ ): on pourra donc écrire maitriser ou maîtriser, nivèlement ou nivellement, et Le Dictionnaire Hachette ou Le Petit Robert intègrent eux aussi 100% des rectifications proposées à titre de variantes acceptées. Reste à savoir combien de profs permettent à leurs élèves d'écrire "connaitre" ou "couter" sans accent circonflexe.
La morale de cette histoire?
Voilà que la loi établie par l'autorité officielle de référence en matière de langue française est contestée, signe qu'une "norme imposée d'en haut" est de moins en moins acceptée (pour de bonnes ou de mauvaises raisons) . Cela devrait faire réfléchir à un moment où s'exprime une forte demande de norme rigoureuse pour la langue corse, et à s'interroger sur le rôle dévolu au Conseil de la langue corse.
Et la grammaire...? Le travail de normalisation n'a jamais été fait
Cet épisode, où l'on voit que l'institution chargée de dire la "loi linguistique" est contestée, doit faire réfléchir. "Ce n'est pas demain la veille", pensent certains, que l'Académie Française sera tentée de proposer une nouvelle réforme de l'orthographe malgré ses nombreuses incohérences. Quant à la grammaire, ce n'est pas vraiment le domaine favori des académiciens:
"l’Académie française, dont les statuts fondateurs avaient prévu la rédaction d’une grammaire, en a finalement « pondu » une, avec difficulté, dans les années trente... La première édition de cette grammaire, qui contenait des simplifications et des approximations abusives, fut très vivement contestée et moquée par d’éminents linguistes de l’époque. Une seconde édition, corrigée, fut publiée... Depuis, je crois... plus rien n’est venu de l’honorable institution, dans ce domaine du moins. Il est vrai que la grammaire se renouvelle moins vite que le vocabulaire". http://www.langue-fr.net/spip.php?article162
Quant au projet de normalisation de la langue corse, il n'est pas fait de référence expresse aux travaux existants concernant à la grammaire même si on peut considérer qu'ils ne sont pas non plus épargnés par le jugement critique de P.Ghionga:
"Le Conseil de la langue corse ... est l’instance chargée de normaliser la langue corse, de dire la norme en matière de langue. Ce travail n’a jamais été fait. Il aura pour prérogative de respecter le caractère et la diversité polynomiques. Il est hors de question d’imposer le corse du Nord par rapport au corse du Sud et vice-versa. Les deux possibilités existeront pour les traductions".
Touche pas à "my dialect"
On voit que ce qui préoccupe ici c'est surtout la différenciation géographique interne. Le principe de polynomie est donc réaffirmé comme intangible dans le cadre de la (future) normalisation. Or la fameuse "intertolérance" est surtout menacée par des prescriptions diverses qui visent rarement à privilégier tel dialecte par rapport à tel autre, même si la référence à "deux possibilités" seulement (Nord et Sud) "pour les traductions" peut donner matière à discussion. Les "règles" contradictoires qu'il est donné de constater notamment dans les diverses grammaires du corse (elles aussi approuvées et soutenues par les institutions publiques) concernent des questions qui ne sont pas forcément liées à la variation géographique. C'est le cas par exemple dans le domaine de la fameuse "concordance" qui montre que la réflexion grammaticale corse parvient rarement à s'affranchir des modèles extérieurs (italien et français notamment), et verse parfois (volontairement ou pas) dans des prescriptions fantasmatiques. Comme pour la question de la controverse orthographique française citée plus haut, on pourrait dire que l'application des règles varie d'un professeur et d'un dictionnaire à l'autre".
Toponymie: corse ou italien, il faut choisir
En matière de toponymie, on peut observer le même genre d'imbroglio: certaines communes adoptent la signalétique bilingue, d'autres optent pour le nom traditionnel (en réalité toscan), d'autres pour le nom corse. Encore une fois P.Ghionga met les pieds dans le plat:
"Le nom officiel devrait être le nom corse, mais les villes ou les villages, qui veulent garder leur nom toscan, le pourront. C’est un peu provocateur de dire ça, mais ceux qui sont contre la langue corse défendent le toscan, pas le français ! Ajaccio n’est un nom, ni français, ni corse, mais italien [...] Défendre le nom Porto Vecchio, c’est défendre le toscan ou le génois !".
Ajoutons que certains noms de lieux ont une forme hybride, y compris quand ils ont été "corsisés". Par exemple la graphie (Cardu) Torgia n'est pas corse, et n'appartient à aucune langue connue (le génois n'a ici rien avoir, car l'administration génoise de l'époque avait opté pour le toscan).
Comme pour le dictionnaire, on pourrait donc déplorer l'absence de travaux "scientifiques" en toponymie.
Rappelons ici pour mémoire que certaines régions soumettent au même traitement tout ce qui concerne la langue. Ainsi aujourd'hui au pays basque du sud les noms de lieux mais aussi les noms de famille ont une graphie officielle basque et non plus espagnole. En Corse il n'y a pas de revendication concernant la corsisation des noms de famille, même quand ils ont un nom de lieu comme origine: ainsi Barbaghju est la graphie corse de la commune, alors que le nom de famille reste Barbaggio. S'agit-il d'un "manque d'audace", comme en Bretagne où certains déplorent l'absence de la volonté politique d'émancipation qui caractérise les langues dominée?
L'enseignement? "pas très bon". Les médias? Ils ne jouent pas le jeu
Concernant la qualité de l'enseignement dans les écoles bilingues, on juge que ce dernier n'est "pas très bon". P.Ghionga ajoute qu'il ne s'étend pas sur ce thème jugé "troppu difficiule". Ici aussi on ne peut pas vraiment évoquer la "langue de bois" qui est censée caractériser les hommes politiques. Dans des domaines aussi sensibles que la production des instruments d'enseignement, ou la qualité même de l'enseignement, on peut considérer que le discours est loin d'être lénifiant. Sans se prétendre expert dans les questions linguistiques, le président du Conseil pour la langue corse dit ce que les éventuels spécialistes du domaine n'ont pas l'habitude de dire publiquement.
De même pour les médias, P.Ghionga annonce la couleur :
"les médias doivent, aussi, s’orienter vers le bilinguisme. Ce qui est loin d’être le cas, actuellement, même quand nous avons des conventions avec eux. Viastella devrait faire 50 % de ses programmes en corse, elle en est loin ! "
Il est trop tôt pour évaluer les chances de succès du projet d'aménagement linguistique évoqué ici, qui dépend de plusieurs paramètres, politiques d'abord. Je conclurai en évoquant les points qui me semblent essentiels; l'un concerne l'aménagement du statut, l'autre l'aménagement du corpus.
Formation en langue corse
Le statut de co-officialité constituerait certainement une avancée considérable, au même titre que d'autres mesures indispensables (mais pas forcément suffisantes) à la promotion de la langue corse (je n'aime pas parler de "sauvegarde"). Dans cette perspective la formation des enseignants doit évidemment faire l'objet de tous les efforts. On peut se demander si un progrès dans ce domaine est possible dans le cadre d'un enseignement facultatif. Certains spécialistes de la "formation de l'Europe linguistique" classent le corse dans la catégorie des langues "non encore statutaires". Pour eux l'enseignement obligatoire au moins à l'école primaire est une condition indispensable pour devenir une "langue statutaire":
"lingue statutarie (cioè quelle il cui uso è stabilito da uno statuto riconosciuto dalla comunità in cui sono inserite, in modo da dover essere insegnate obbligatoriamente almeno nelle scuole elementari, e che quindi sono sottoposte a forti necessità di standardizzazione)" (BANFI 1993).
Concernant l'obligation, P.Ghionga répond à certaines critiques et précise qu'elle concerne surtout la nécessité pour les organismes publics de mettre en place une formation:
"Il n’y aura pas de discrimination à l’embauche. Un fonctionnaire, en Corse, ne sera pas obligé de parler corse. Mais, chaque administration, chaque fonction publique qu’elle soit d’Etat, territoriale ou hospitalière, devra mettre en place un plan de formation et de promotion de la langue"
Planification juridique: langue et économie
Quoi qu'il en soit, il ne faut pas oublier que la Question de la Langue est surtout une question de volonté politique, de moyens de contrôle social de la langue, et donc aussi une question juridique. La loi ne suffit pas à faire vivre la langue, mais aucune langue ne peut se développer sans appui législatif. Il ne s'agit pas d'ailleurs seulement de l'école, parfois définie comme une force secondaire de régulation linguistique, mais de la société avec toutes ses composantes, publiques et privées.
C'est ainsi qu'au Québec l'office de la langue (ici il s'agit du français!) intervient aussi dans l'activité économique. Chaque entreprise de plus de 50 employés doit appliquer un programme de "francophonisation" pour obtenir un certificat: "le certificat [de francisation] atteste que l'entreprise peut fonctionner en français, c'est‑à‑dire qu'elle a procédé à la traduction de ses documents ... et qu'un nombre suffisant de ses cadres peut fonctionner en français". La conséquence est une augmentation du nombre des francophones aux postes de direction, là où les anglophones étaient auparavant majoritaires.
Emplois: corsisation / corsophonisation
En Corse on ne parle pas de "corsophonisation" mais plutôt de "corsisation" des emplois. Pour l'instant le concept est diversement jugé, pas seulement en raison du cadre législatif de l'Etat français et du rapport entre la notion de corsisation et la notion connexe de "peuple corse".
Le Québec a choisi de mettre en avant le critère de l'usage linguistique plutôt que celui de l'origine ethnique. Il est vrai que la Corse n'est pas le Québec, et que les entreprises de plus de 50 employés sont ici peu nombreuses.
Si on décidait aujourd'hui de mettre en oeuvre un programme corse de planification linguistique inspiré du Québec, l'Université Pascal Paoli serait concernée au moins en raison de sa taille, et devrait notamment faire la preuve qu'un nombre suffisant de ses cadres peut fonctionner en langue corse. Elle aurait alors droit officiellement à son "certificat de corsophonisation" (ce qui n'est pas le cas à l'heure actuelle).
Respecter les usages linguistiques
Revenons au domaine de la linguistique interne qui relève davantage de ma compétence.
La "normalisation" de la langue ne peut progresser que si le décalage se réduit entre les usages linguistiques réels et les normes diverses qui sont énoncées. Cela n'est possible que si les grammairiens prennent mieux en compte les usages avant d'énoncer des "règles":
[La grammaire] ... est une description ex post et non ex ante de l’organisation de la langue. Cela ne l’empêche pas d’être normative (c’est la notion de "bon usage"), mais même les grammairiens les plus conservateurs sont obligés de prendre en compte les évolutions attestées par les "bons écrivains" (http://www.langue-fr.net/spip.php?article162)
On a au contraire l'impression que les auteurs de grammaires ou les "remarqueurs" en général prennent systématiquement le contre-pied d'usages généralisés, même quand il sont observables chez l'ensemble des auteurs corses, y compris les plus prestigieux.
Le respect de l'usage vaut pour la grammaire comme pour le dictionnaire. Nous avions nous-même présenté il y a quelques années un projet de dictionnaire général de la langue corse fondé sur une base textuelle encore disponible et que nous continuons de mettre à jour:
"L'objectif est de rendre compte de manière honnête et précise de l'usage de la langue corse d'aujourd'hui mais aussi de celle d'hier telle qu'elle se manifeste dans les témoignages écrits et oraux disponibles. Le dictionnaire prend donc en compte la diversité géographique interne du corse et n'exclut a priori aucune variante dialectale dès lors qu'elle est suffisamment attestée (au moins 3 attestations d'auteurs et sources différentes" (Chiorboli 1997)"
Le projet a été présenté devant le Comité Consultatif de la Collectivité Territoriale de Corse qui a émis un avis favorable en 1997. Il n'a jamais été réalisé pour des raisons budgétaires.
Le spectre de Babel
Le constat dressé par P.Ghionga est sévère. Nous le partageons dans ses grandes lignes.
Pas de dictionnaire sérieux, pas de normalisation de la langue, toponymie hétérogène, qualité de l'enseignement discutable, carence des médias et de la formation linguistique.
Les solutions proposées ne visent pas à réduire l'espace du français. Mais la francisation à outrance serait une "mauvaise uniformisation", et aurait des mêmes négatifs similaires à ceux que P.Ghionga reproche au "rêve de l'esperanto":
"Le multilinguisme est une richesse pour l’humanité entière et la fait progresser. Quand l’humanité perd une langue, elle s’appauvrit. Le rêve de l’esperanto, qu’on croyait être un progrès, est, en fait, une régression, une mauvaise uniformisation".
Selon certains livres sacrés, tous les hommes parlaient à l'origine une seule et même langue, avant que ne s'abatte sur eux la malédiction. Pour les punir d'avoir osé défier sa puissance en construisant une tour qui devait s'élever jusqu'aux cieux, Dieu multiplia les langues, les humains ne se comprirent plus et se dispersèrent sur la terre.
La multiplicité des langues est-elle une malédiction? Certains pensent que c'est au contraire l'uniformité (souvent imposée) du monolinguisme qui constitue un danger: on peut employer la même langue sans pour autant se comprendre, les mêmes mots (démocratie, justice, liberté...) pouvant être interprétés de manière diverse et contradictoire.
Wait and see ?
A une époque où la biodiversité est considérée comme un bien précieux, il serait illogique de voir la diversité culturelle et linguistique comme une malédiction.
Répétons en conclusion que le projet de la CTC est de nature à séduire ceux qui sont attachés à la promotion de la langue corse en Corse, et au-delà tous les humanistes.
Mais comme toujours, il faudra attendre de voir si, et surtout comment, le programme est appliqué.
Jean CHIORBOLI
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Citta di Trappani (mercredi, 22 août 2012 09:41)
...di Monte Cristo si vede Capraia...