
L'annonce dans la presse d'une possible extension de la DSP maritime à Toulon a déclenché une vague de réactions négatives des socio-professionnels insulaires. La vague a immanquablement atteint l'hémicycle de l'assemblée de Corse qui examinait, vendredi matin, le rapport d'information sur le sujet. L’opposition s'est liguée contre l'extension, suspectée de réinstaller un monopole de fait. Dans la majorité, certains groupes ont exprimé leur inquiétude.
L'épineux dossier de la desserte maritime n'en finit pas de provoquer des remous. Après le houleux débat printanier, on pensait le sujet du périmètre de la DSP clos et limité à Marseille par la législation européenne. Mais une lettre de Thierry Mariani, l'ex-ministre des transports de l'ancien gouvernement, rendue publique après les échéances électorales, a réveillé passions et polémiques.
Le choix des ports
Le nœud gordien est le choix des ports continentaux à inclure dans le périmètre de la prochaine délégation de service public (DSP), adopté par la CTC en mars dernier.
Si Paul-Marie Bartoli, président de l'Office des transports (OTC) s'est toujours déclaré en faveur de l'intégration du port de Toulon dans ce périmètre, l'Etat et les instances européennes s'y opposaient. Le Conseil exécutif a donc, par la force de la chose juridique, limité ses ambitions au port de Marseille tout en demandant à l'Etat de clarifier sa position. Cette clarification est intervenue, post-débat, par un courrier du 20 avril dernier du ministre des Transports de l'époque, Thierry Mariani, qui, revoyant sa copie, n'exclut plus le port varois de la DSP.
Une hostilité générale
Fort de ce revirement, l'OTC reprend son idée initiale, demande confirmation de l'accord de l'Etat au nouveau gouvernement et interpelle l’Union européenne sur la légitimité du projet. Puis, divulgue le projet à la presse, sans avertir au préalable les élus, déclenchant une hostilité générale qui n’est pas du goût du président de l’exécutif. « Je suis un peu troublé par les réactions que peut susciter chaque parole ou chaque décision. Il ne faut pas nous accuser d’intentions maléfiques. Certains nous accusent de vouloir réinstaller un monopole. Nous ne le voulons pas car il est préjudiciable à l’intérêt de l’usager. Une concurrence déloyale l’est tout aussi. Nous voulons un système mixte composé d’un service public de base dont la Corse a besoin et un nécessaire équilibre avec les compagnies privées ».
Les précisions de Paul Giacobbi ne convainquent pas l’opposition qui fait front uni pour tirer à boulets rouges sur le projet, dénonçant d’abord la forme avant de couler le fond.
Le front nationaliste
Les nationalistes ouvrent le feu avec Jean-Guy Talamoni qui critique la méthode. « Nous sommes un peu abasourdis quand nous voyons ce rapport dans la presse avant que les élus n’en aient eu connaissance ». Avant d’apostropher, un brin caustique, le président de l’exécutif : « Quelle mouche vous a piqué pour mettre ce rapport dans la presse ? Vous réussissez l’exploit de faire l’unanimité contre votre proposition ! C’est étrange ! J’avoue mon incompréhension totale devant la démarche qui est la vôtre ».
Puis, l’élu de Corsica Libera accuse le projet de réinstaurer « mécaniquement » un monopole de fait, « dont nous ne voulons pas, qui nous replongerait des années en arrière et donnerait le pouvoir et une nuisance maximale à un système qui a connu tant de dérives. Nous sommes contre ».
Des desseins inavoués
Une opinion partagée par Jean Biancucci, qui va d’abord relayer l’émotion publique déclenchée par l’annonce du projet et « le ras-le bol de la population qui en a marre des grèves de transport ». Avant de fustiger : « Vous assénez par voie médiatique une annonce qui n’a d’autre effet que de jeter, à des opinions très sensibles à la question, un dossier dont on se demande quel est l’objectif. Le moyen provocateur utilisé va à contre-courant d’une position politique responsable que nous sommes en droit d’attendre et qui cache des desseins inavoués ». L’élu de Femu a Corsica plaide pour un véritable bilan de la continuité territoriale : « nous ne pouvons pas aller de l’avant sans savoir où on a réussi et où on a échoué depuis 40 ans ».
L’autre élu de Corsica Libera, Paul-Félix Benedetti sera encore plus tranchant et parle de « schizophrénie de l’exécutif » coincé entre « la nécessité d’un service public et des intérêts géostratégiques très éloignés des intérêts de la Corse ». Pour lui, la lettre de l’ex-ministre Mariani n’est qu’un moyen saisi par l’exécutif de : « redonner plus de 100 millions € à la SNCM pour régler sa problématique sociale. Est-ce l’intérêt stratégique de la Corse ? Non ! ».
Une situation de dépendance
Jean Christophe Angelini va enfoncer le clou : « Les intérêts de la Corse ne sont pas solubles dans les intérêts du port de Marseille. La CTC ne peut plus économiquement et financièrement supporter, seule, les frais et les charges ». Si le leader de Femu a Corsica se dit favorable au service public, il s’oppose à tout retour à un monopole. Il estime que l’extension de la DSP à Toulon reviendrait à « financer l’importation et à s’installer dans une situation de dépendance très couteuse ». Pour lui, la continuité territoriale ne peut se résumer à la seule continuité géographique des ports de Toulon et Marseille et doit s’étendre aux autres ports du bassin méditerranéen.
A sa suite, Michel Castellani va soulever le problème de l’emploi et de l’inflation budgétaire en posant une question pratique : « Sur quel linéaire étendra-t-on la DSP fret à Toulon ? ».
Les deux groupes nationalistes plaident, encore une fois, pour la création d’une compagnie régionale.
Le triple Non de la droite
A droite, l’opposition à l’extension de la DSP à Toulon est encore plus nette. Tony Sindali affirme que les nombreuses procédures judiciaires intentées par la concurrence et les conflits à répétition ont « détérioré l’image et la crédibilité » de la SNCM. Il lance un appel pour « un service minimum d’alerte sociale », censé prévenir l’interruption de service, et pour la suppression du service complémentaire et de l’aide sociale.
Camille de Rocca Serra va droit au but et assène un triple : « Non » à Toulon qu’il qualifie « d’aberration et d’hérésie ». Ne voyant aucun intérêt économique et financier à une extension incompatible avec les règlements européens, il fait mine de s’interroger : « Pour qui sommes-nous en train de travailler ? Doit-on adapter le modèle des transports de la Corse aux problèmes sociaux des entreprises de transport ? ».
Inquiétude à gauche
L’inquiétude d’un retour en arrière vers une situation de monopole préoccupe également certains membres de la majorité territoriale. Pour Corse Social démocrate, Jean Baptiste Luccioni propose de dissocier les deux activités : fret/passagers sur Toulon.
Antoine Orsini trouve « le terrain miné » et estime « qu’il faut y aller à pas sûrs » en mettant des conditions de régulation.
Des interrogations également du côté de François Tatti qui considère avec « une extrême réserve cette extension à Toulon qui va créer une situation de monopole dont nous ne voulons pas ». Mettant l’accent sur les tarifs excessifs de fret au regard des besoins de l’économie de la Corse, il prône plutôt « le maintien d’une DSP limité à Marseille et la définition d’une OSP (Obligation de service public) qui encadre le transport sur Toulon ».
Le Oui du Front de gauche
Sans surprise, le Front de gauche prononce un Oui franc. Il défend le choix d’une DSP à 12 ans et son extension à Toulon, le pavillon de 1er registre français et la résiliation du dispositif d’aide sociale « pour sortir du déficit qui plombe l’OTC ». Michel Stefani va torpiller, en règle, la Corsica Ferries, son directeur, ses procédures judiciaires à répétition, sa volonté de domination… « La CTC ne doit pas laisser aux seuls acteurs du marché, la mise en œuvre des moyens de la continuité territoriale ».
Un avis de légalité
Après
un long débat scrupuleusement suivi par les directeurs des
trois compagnies maritimes SNCM, CMN et Corsica Ferries, et les syndicats, Paul-Marie Bartoli, le président de l’OTC,
va s’attacher à démonter les
critiques et à rassurer les élus, balayant
toute volonté de rétablir un monopole. Il justifie l’extension à Toulon par la carence de l’opérateur privé en matière de fret et par le souci d’éviter les grèves des dockers du port de Marseille, la CGT étant peu présente à Toulon. Il admet que le conseil exécutif « a obligation de protéger les délégataires dans deux ports distants de 80 km » et de sauver « les emplois des deux côtés de la mer, 1000 emplois directs dans
l’île et les
entreprises partenaires des compagnies maritimes ». Une
façon d’avaliser les suspicions de l’opposition et de corroborer l’idée que ce projet n’est qu’un cadeau déguisé
à la SNCM en difficulté. Néanmoins, le conseil exécutif conditionne sa réalisation à trois
avis de légalité, du Conseil d’Etat, du ministère du transport et de l’Union européenne, qu’il devrait obtenir durant l’été. En cas de blanc-seing, il transmettra aux élus une proposition détaillée du cahier des charges à la rentrée.
Affaire à suivre.
N. M.
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