« O maè, parlami corsu »

A la suite de la prise de position de certains syndicats enseignants contre le projet de coofficialité de la langue corse en cours d’élaboration à la CTC, l’Associu di l’insignanti di lingua è cultura corsa (AILCC) dénonce des manœuvres pour repolitiser un projet qui fait, pourtant, largement consensus au sein de la société insulaire. Elle lance un appel à une concertation sereine pour penser un système éducatif au service di a lingua nustrale, à l’aide d’un slogan revisité. Explications de Ghjiseppu Turchini, Président de l’AILCC. 

C’est une démonstration de force, de détermination et de fermeté que l’Associu di l’insignanti di lingua è cultura corsa (AILCC) a voulu opposer à la polémique syndicalo-politique qui menace, de dérives hors-sujet, le projet de coofficialité de la langue corse, en cours d’élaboration à la CTC.

En mai dernier, une fuite politiquement orchestrée de l’ébauche du projet, concoctée par Pierre Ghionga, l’élu territorial à la tête du Conseil pour la langue corse, a déclenché une levée de boucliers des syndicats SNUIPP et FSU de l’Education nationale.

A l’inquiétude et le mécontentement exprimés, alors, répondent, aujourd’hui, le mécontentement et l’inquiétude des professeurs de corse regroupés autour de leur président, Ghjiseppu Turchini, et de l’un de leurs confrères, élu territorial de Femu a Corsica, Saveriu Luciani. Une réaction collective pour recentrer le débat sur la question essentielle de la sauvegarde di a lingua nustrale et sur l’urgence d’agir.

De vieux plats

En préambule, l’AILCC rappelle qu’elle a interpelé publiquement les candidats aux élections législatives sur la question de la langue et que, seuls, les candidats des deux groupes nationalistes ont répondu.

Puis, l’Associu réagit aux prises de position récentes de ces syndicats enseignants, se déclarant « profondément choquée par l’excès, voire la virulence des propos proférés par les syndicats SNUIPP et FSU qui ont pourtant pris, en préambule, la précaution d’affirmer qu’ils étaient favorables à la langue corse. Ancu di grazia, ch’o sinnò chì seria statu ! ».

Les professeurs de corse accusent certains de leurs collègues de vouloir « repolitiser le problème de la langue alors qu’elle fait l’objet d’un consensus serein » tant politique que social. « On nous ressert de vieux plats : discrimination, agitation des peurs avec la mise hors norme du dispositif, … pour engendrer la crainte et semer la confusion », explique Ghjiseppu Turchini.  

La richesse du plurilinguisme

Démontant point par point les arguments invoqués, il insiste sur la richesse du plurilinguisme qui permet non seulement d’enrayer le déclin de la langue historique, patrimoniale et identitaire de la Corse, mais présente un intérêt véhiculaire majeur dans un monde où 1 habitant sur 6 parle une langue latine. S’inscrivant en faux contre les accusations de division et de discrimination imputées au projet, l’Associu rappelle que le processus prendra assez de temps pour permettre aux enseignants non-Corses d’acquérir, s’ils le désirent, la maîtrise de la langue. A ceux qui estiment que le projet impose la contrainte de parler corse, elle rétorque que l’enseignement de matières comme l’histoire-géographie, les maths, le français ou l’anglais est obligatoire et est, de facto, une contrainte qui ne choque personne !

A lingua nustrale en danger

Pour l’AILCC, cette controverse politique est stérile et hors sujet, au moment où l’Unesco a décrété a lingua nustrale en grand danger. L’heure étant plutôt à un débat technique constructif, elle lance un appel à l’organisation d’une table ronde réunissant toutes les personnes concernées avec néanmoins, en préambule, la nécessité de répondre clairement à une question simple : « Etes-vous pour ou contre la coofficialité ? ». A ceux qui la refusent, elle demande de proposer, en échange, une solution alternative pour sauver la langue corse ! Une manière d’acculer les récalcitrants au pied du mur qu’ils opposent au projet et de les forcer à faire suivre d’effet leurs déclarations d’intention sur la langue.

Stigmatisant « la contradiction » et « l’hypocrisie » de ceux qui déclarent vouloir sauver la langue en refusant la coofficialité, elle assène : « Nous ne pouvons pas sauver la langue sans la coofficialité. Les recettes, que nous proposons, ont déjà fonctionné ailleurs, dans des dizaines de régions européennes. Tout le monde sait ce qu’il faut faire pour avancer de manière décisive sur ce dossier ».

Une question orale

Enfin, l’AILCC contre-attaque avec une campagne d’information qui joue sur un clin d’œil à un slogan célèbre, ornant un dessin qui l’est tout autant : « O maè, parlami corsu ». Maé pour maestru, le maître, l’enseignant et pour signifier qu’il est « grand temps que le système scolaire joue enfin son rôle de moteur de la reconquête linguistique du corse ».

En écho, ce jeudi, à l’ouverture de la session de l’Assemblée de Corse, l’élu de Femu a Corsica posera une question orale sur le sujet à l’exécutif, histoire de battre le fer tant qu’il est encore chaud !

                                                                                                                                         N. M.

Ghjiseppu Turchini : « La coofficialité est le seul moyen de sauver la langue corse »

- Les partis traditionnels, qui clament leur volonté de sauver la langue, n’ont pas répondu à votre questionnaire. Est-ce la question de la coofficialité qui les bloque ?

- Nous constatons souvent que, malheureusement, un gouffre existe entre le discours général d’intention et l’application technique. Concernant la coofficialité, les états-majors politiques influent grandement sur les positionnements de chacun. Quoi qu’il en soit, il faut très vite avancer sur ce dossier qui, comme on peut le constater dans nombre de régions d’Europe et du monde, est vraiment le seul dispositif capable de maintenir et de développer une langue sur son territoire.

 

- Que répondez-vous aux adversaires de la coofficialité qui lui opposent toute une série d’arguments techniques, pratiques, voir même linguistique ?

- Ces gens n’ont pas la compétence linguistique requise pour donner une analyse objective et fondée de l’état de la langue corse aujourd’hui. Nous sommes des linguistes, nous savons très bien comment fonctionne une langue, nous ne voyons aucun obstacle à la coofficialité. Ces arguments masquent des crispations idéologiques sur la langue.

 

- Le projet, élaboré par la CTC, a été divulgué avant même sa finalisation. Quel est, selon vous, l’intérêt de ces fuites ?

- Nous ne sommes pas une organisation politique, mais une association technique de mise en place d’un dispositif au sein de l’Education nationale. Nous n’avons pas à analyser les manœuvres à l’œuvre derrière certaines prises de position. Néanmoins, il semble évident que certaines mouvances politiques et les syndicats qui leur sont, en général, affiliés, sont, depuis des années, farouchement opposés à toute avancée dans le domaine de la langue corse. C’est un fond ultra-républicain qui se dévoile et bloque, dès que l’on essaye de sortir des sentiers battus et d’aller vers une évolution législative. C’est la quadrature du cercle.

 

- C’est-à-dire ?

- Si on n’élargit pas le carcan de l’anti-constitutionnalité  actuelle, on ne pourra pas mettre en place la coofficialité. Or, je le répète, la coofficialité est le seul dispositif à pouvoir assurer la sauvegarde de la langue. Se déclarer favorable à l’enseignement du corse et, en même temps, être fermement contre toute évolution lui permettant de lui donner un cadre, est une incohérence. Comme cela, on ne s’en sortira jamais !

 

- Ce combat d’arrière-garde vous inquiète-t-il ?

- Déjà, il nous désole. Il ne faudrait pas, ce faisant, que certaines personnes crispent inutilement le débat. Nous sommes là pour rappeler qu’un grand consensus s’est exprimé  au niveau politique à travers la représentation démocratique de la Corse à la CTC. Des enquêtes régulières d’opinions montrent que les Corses, et même des non-Corses qui vivent sur l’île, sont très attachés à la sauvegarde et à l’épanouissement de la langue locale. Et si quelques enseignants s’inquiètent du projet conçu par la CTC, ils ne représentent pas la majorité des enseignants. Une autre voix, de plus en plus forte, portée par des gens de plus en plus nombreux, se fait entendre pour soutenir le projet.

 

- La signature de la Charte des langues régionales, promise par la gauche, est-ce un pas important pour sauver le corse ou dérisoire par rapport à la coofficialité ?

- La Charte des langues régionales est un menu déroulant dans lequel on peut sélectionner des éléments. A son niveau le plus haut, elle commence à donner un cadre structurant et fort à  la langue locale. Mais, elle est en retrait par rapport à l’urgence d’agir et à la mise en place d’une coofficialité avec une langue corse, en dehors du français, légitime sur son territoire. Par contre, au niveau symbolique, un Président de la République, qui signerait enfin cette charte, contribuerait à débloquer les esprits et à donner une autre image de la France qui porte le bonnet d’âne de l’enseignement des langues minoritaires en Europe.

 

- Ne craignez-vous pas que le temps nécessaire au changement constitutionnel ne pose problème par rapport à l’urgence d’agir ?

- C’est pour cela que nous sommes assez inquiets. En Corse, nous avons les moyens d’aller rapidement et efficacement en utilisant, enfin, les compétences qui nous ont été octroyées par le statut particulier. Nous pouvons avancer en utilisant le changement de pouvoir en France, qui est favorable à la majorité territoriale. Si la volonté d’avancer, affichée par l’exécutif de la CTC, est réelle, qu’on nous en donne la preuve maintenant ! Et que les établissements appliquent vraiment, avec cohérence, le train de mesures mis en place, depuis de nombreuses années, notamment au niveau de l’enseignement.

 

- Cette non-application résulte-t-elle d’un manque de moyens ou d’un manque de volonté ?

- Uniquement d’un manque de volonté ! Nous touchons le plafond indépassable de l’optionnalité de la langue corse qui reste confinée dans un emploi du temps marginal et dérisoire, trois heures par semaine.

 

- Certains ne tendent-ils pas à considérer la défense de la langue corse comme un danger pour la langue française ?

- Oui. On continue de souffler sur les braises et d’opposer les deux langues alors qu’elles sont complémentaires. C’est pour cela que nous parlons de plurilinguisme. Il faut sortir de la crispation : français contre corse, et comprendre la chance d’être plurilingue, de parler français tout en gardant notre identité. Le corse nous ouvre l’espace de la Romania, qui regroupe l’ensemble des langues issues du latin, notamment italiennes et ibériques, et représente 1 milliard de locuteurs sur la planète. C’est ça la véritable chance, l’enjeu et la richesse de la langue corse. On peut parler plusieurs langues, être citoyen du monde, tout en étant ancré dans son identité.

 

- Vous dites que la coofficialité doit être un élément important de la négociation sur le PADDUC. Qu’attendez-vous du débat qui s’ouvre ?

- Le PADDUC parle de développement harmonieux du territoire, d’organisation et de gestion de l’espace, ce qui concerne aussi l’espace culturel. Tout est culture. La langue, qui est le vecteur essentiel de la culture, est de facto dans l’espace culturel. Donc, placer la langue, la culture, le patrimoine et l’identité dans les textes, qui vont structurer le développement de la Corse, l’occupation de l’espace, le projet politique et de société, est incontournable. Ce PADDUC va manifestement engendrer une sorte de package sur le transfert de certaines compétences. Il faut, à tous prix, que dans ce transfert de compétences figure, de manière incontournable et définitive, la coofficialité.

 

- En attendant ce transfert de compétences, quelle mesure urgente faut-il prendre pour sauver la langue corse ?

- La multiplication des filières bilingues, la généralisation du bilinguisme, la continuation de ce qui est en cours. A la rentrée 2013, toutes les écoles maternelles de l’île seront bilingues. Il faut, dès septembre, se mettre au travail et avancer de manière décisive.

                                                                                   Propos recueillis par Nicole MARI

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Commentaires: 6
  • #1

    TO NY (vendredi, 06 juillet 2012 07:17)

    La prise de position des organisations citées, présomptueusement intolérante,est inacceptable.La langue Corse vivra.

  • #2

    Paolinu (vendredi, 06 juillet 2012 11:07)

    Vargogna a sti pseudo sindicati chi scumbattenu sempre nostra lingua! Un si ne rendenu contu chi tuttu si more inde stu paese! U veru razzisimu ghjè di lascià more un populu e una lingua senza fà nulla!

  • #3

    Néviani Francescu (vendredi, 06 juillet 2012 11:54)

    Tantu chi a Corsica sera cù a cadena francese sera sempre cussi .
    Tanti Corsi si impipanu di a nostra lingua , l'életti devenu esse in prima ligna e fà avenza ste pruposte .

  • #4

    Maurizio Firenze (vendredi, 06 juillet 2012 12:36)

    Siate coerenti !! Traducete l'articolo in lingua corsa...

  • #5

    Colombani-buisson joseé (vendredi, 06 juillet 2012 12:50)

    simu di stu paese,vulemu campà a nostra lingua é a nostra identita,vergogna a sti sindicati chi so francesi a lingua viva,u populu vivu,viva a lingua corsa!campera!!

  • #6

    achille bosio como (samedi, 07 juillet 2012 13:13)

    ognuno a casa propria deve parlare la propria lingua.è cultura...