Arrêtés Miot : Prorogation jusqu'en 2017 ?

Le débat sur la prorogation des Arrêtés Miot a ouvert la session estivale de l'assemblée de Corse, ce jeudi après-midi. Face à l'épée de Damoclès que constitue la mise en oeuvre, au 1er janvier 2013, du processus de retour au droit commun, les élus territoriaux ont voté, à l'unanimité, la prorogation de ce régime dérogatoire jusqu'au 31 décembre 2017 en attente d'un transfert de compétences en matière fiscale.

 

Il y a urgence. Si rien n'est fait, le 31 décembre prochain, c'en est fini des Arrêtés Miot et donc de l'exonération totale des droits de succession sur les biens immobiliers situés dans l'île ! La Corse basculera, en deux étapes irréversibles, dans le régime général des droits de succession en vigueur sur le continent. La première débutera le 1er janvier 2013, date à partir de laquelle les successions, qui s'ouvriront, seront taxées à 50 % de la valeur des biens les composant. Le délai de déclaration, aujourd'hui fixé à 24 mois, sera réduit à six mois. La deuxième, le 1er janvier 2018, passera à une taxation à taux plein.

Un transfert sans réponse

Le 30 juin 2011, les élus territoriaux avaient adopté, à l'unanimité, une délibération proposant de transférer, à la CTC, la compétence en matière de fiscalité des successions. L'un des axes était de garantir lexonération de la transmission des patrimoines modestes et moyens, tout en instituant des droits modulés sur les patrimoines plus élevés. Le produit de cette fiscalité devant permettre de financer une politique du logement et du foncier.

La demande, transmise à l'Etat, est restée, à ce jour, sans réponse. Seule, une fuite a révélé l'arrêt négatif du Conseil d'Etat stipulant que créer une situation particulière se heurte au principe d'égalité devant l'impôt.

En attendant quune discussion souvre avec le nouveau gouvernement sur cette proposition de réforme, la Commission des compétences législatives et réglementaires présidée par Pierre Chaubon et la Commission des finances présidée par Antoine Orsini ont décidé, le 1er juin dernier, de demander la prorogation, à titre conservatoire, jusquau 31 décembre 2017, des Arrêtés Miot.

L'union sacrée

Ce projet de délibération était présenté, ce jeudi, au vote.

"C'est une demande subsidiaire à titre conservatoire, compte tenu du contexte et des échéances. La demande principale est le transfert de la compétence fiscale. Si l'heure constitutionnelle n'est pas encore venue. Elle viendra ", précise Pierre Chaubon.

Il appelle les élus à une union sacrée autour de ces deux demandes et donc à un vote à l'unanimité pour faire pression sur le gouvernement. "Cette demande de prorogation ne pourra aboutir qu'à condition qu'une volonté politique forte s'exprime dans cette assemblée afin qu'elle soit entendue par le gouvernement et adoptée par le Parlement", appuie Antoine Orsini.

Un contexte défavorable

C'est que le contexte général et l'impérieuse nécessité de rééquilibrer les finances publiques ne sont guère favorables à l'octroi, par l'Etat et les parlementaires, d'un avantage fiscal. Ce que n'a pas manqué de souligner l'élu UMP et député, Camille de Rocca Serra, qui insiste sur les réticences attendues de la part de la majorité nationale et sur la méthode à adopter  : "Comment aboutir ? Alors qu'il y a un durcissement des droits de succession au niveau national et que la majorité est en train de démonter la loi qui favorisait les donations !"

Une interrogation que partagent les élus nationalistes. Rappelant que la Corse vit sous la menace "d'une date couperet", Gilles Simeoni, pour Femu a Corsica, exprime "la crainte que Paris joue la montre", que le gouvernement s'arrange pour "enliser le débat et laisser pourrir la situation".

Des titres à reconstituer

Aussi, dans un long préambule, le président de l'exécutif a-t-il détaillé, face aux difficultés potentielles à obtenir cette prorogation, la nécessité d'affûter les arguments.

Le plus évident concerne la reconstitution et la mise en ordre des titres de propriété, entreprises en 2009 par le GIRTEC, qui sont loin d'être abouties. "Si la loi de 2002, supprimant les arrêtés Miot, avait consenti un délai, c'était justement pour laisser le temps au GIRTEC de faire son travail. L'absence de titres est un argument pour la prorogation" estime Paul Giacobbi.

Argument repris par Jean-Guy Talamoni, pour Corsica Libera, qui recommande de "mettre en avant quelque chose d'audible et de compréhensible pour le député français moyen. Il faut insister sur la démarche en cours du GIRTEC, expliquer qu'il faut, en toute logique, la mener à son terme de constitution de titres, ce qui risque de durer".

Les entorses au droit commun

Un deuxième argument porte sur les dérogations au droit commun qui sont légion sur le territoire français, tant en matière fiscale que sur d'autres sujets, notamment la laïcité. "Nous avons déjà commencé avec la loi sur le PADDUC qui n'est pas tout à fait conforme à la constitution. Nous avons pu obtenir pour le PADDUC des accommodements avec le ciel", poursuit le président de l'exécutif pour qui cette prorogation n'est qu'un galop d'essai avant d'autres accommodements à arracher en termes de coofficialité de la langue, de modification des institutions et de réglementation de l'accès au foncier pour les non-résidents.

Un calendrier resserré

Gilles Simeoni estime, pour sa part, qu'il faut développer trois points d'argumentation : "le problème essentiel de préservation du patrimoine immobilier dans un contexte de spéculation foncière, l'impératif de justice sociale avec un impôt progressif et adapté, un impôt au service d'une vision de la société". Pour l'élu de Femu a Corsica, il est crucial d'engager "un cycle de discussions avec un calendrier resserré dans les domaines vitaux pour notre peuple et pour apporter des réponses à la hauteur des problèmes".

Si tous les groupes de l'assemblée ont joué la solidarité avec l'exécutif sur la question, le Front de gauche, par la voix d'Etienne Bastelica, a réitéré, une fois de plus, ses réticences à exonérer de taxes les plus riches. Ressortant le même amendement qu'il avait déjà proposé, en 2011, il demande "à soumettre à contribution les gros patrimoines pour plus de justice fiscale". Un amendement en forme de pression avec en toile de fond l'indispensable consensus.

Un vote à l'unanimité

Après une longue suspension de séance où l'amendement a été âprement discuté en commission, les élus ont finalement trouvé un compromis sur sa rédaction en le remplaçant par une formule assez vague qui dit tout sans rien dire vraiment : "un objectif réaffirmé de justice et d'équité sociale".

Et le président de l'exécutif a, ainsi, obtenu le vote à l'unanimité, si souhaitable et tant souhaité.

La balle est désormais dans le camp du nouveau gouvernement et du Chef de l'Etat qui, lors de sa venue dans l'île pendant sa campagne électorale, avait déclaré attendre les propositions de l'Assemblée de Corse. C'est, désormais, chose faite ! Les arguments avancés sauront-ils convaincre, au-delà de la mer, en ces temps de disette budgétaire et de rigueur financière ? En fin de séance, dans les travées de l'hémicycle, le scepticisme et la prudence le disputaient à l'espoir. Sans aucune certitude.

                                                                                                                                            N. M.

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