Don Jean Santa Lucia : « L’huile d’olive de Corse est exceptionnelle »

(Photo Nicole Mari)
(Photo Nicole Mari)

Oléiculteur à la retraite, Don Jean Santa Lucia, le président du Syndicat interprofessionnel des oléiculteurs de Corse (SIDOC) et du Syndicat AOC Oliu di Corsica n’en reste pas moins actif. Il continue de vendre de l’huile d’olive dans son magasin connu de tous les amateurs : la Cave de Sainte-Lucie-de-Tallano, dans l’Alta-Rocca. Il brosse, pour Corse Net Infos, un tableau plutôt réjouissant de la filière oléicole en pleine expansion et explique pourquoi l’Oliu di Corsica est unique et exceptionnelle. 

- Combien le Syndicat regroupe-t-il d’oléiculteurs ?

- Il regroupe environ 180 oléiculteurs, dont 150 en AOC (Appellation d’origine contrôlée). Ceci signifie que les oléiculteurs corses sont conscients de l’intérêt de l’obtention de cette AOC. Ils font, tous, le maximum non seulement pour intégrer cette AOC, que la filière a obtenue en 2004, mais aussi pour se faire connaître en AOC.

 

-  Quel est le volume de la production insulaire annuelle ?

- La production varie chaque année, avec une moyenne de 135 000 litres. C’est une production moyenne par rapport à celles d’autres départements français. Ce que nous voulons mettre en valeur, c’est que notre huile d’olive est exceptionnelle. Elle n’est pas meilleure que les autres, parce que la meilleure, pour chacun, est celle que l’on aime, mais elle est différente. Nous avons des variétés d’olive qui, pour la plupart, n’existent qu’en Corse. Notre savoir-faire et nos variétés spécifiques rendent notre huile tout à fait unique.

 

- Quelles sont les variétés spécifiques à la Corse ?

- Il y en a beaucoup : la Ghjermana de Casinca ou d'Alta Rocca, la Sabina au Nord-Ouest, la Capannace, la Zinzala dans le Taravu et le Valincu, la Biancagia du Nebbiu, la Curtinese, etc. Ces variétés ont été importées d’Italie, il y a longtemps. Aussi certaines variétés italiennes ont-elles le même ADN que les olives corses, mais restent, néanmoins différentes ! La particularité de l’huile corse est sa douceur. Sa production se fait sur une double déclinaison avec deux dénominations. La première en AOC s’appelle : Dolce et correspond à une huile douce, issue d’une récolte en chute naturelle ou, du moins, avec des olives mûres. La seconde s’appelle Fresca et est plus fruitée avec un petit goût d’amertume, mais qui s’estompe très vite pour faire place à la douceur.

 

- Quelle est la taille moyenne des exploitations insulaires ?

- La taille moyenne des exploitations est de 10 hectares, ce qui est énorme pour la Corse et pour la filière. Certains producteurs travaillent sur des oliveraies traditionnelles, émiettées en petites surfaces excédant rarement 1 hectare. Par contre, les oliveraies qui ont été plantées, ces vingt dernières années, atteignent facilement dix hectares, chacune. Ces oliveraies récentes produisent une huile différente parce que les olives sont ramassées d’une autre façon : on les vibre avant qu’elles ne tombent, un peu avant leur maturité complète, pour obtenir une olive mûre à 80 % entre le début et la fin de la récolte.

 

- Quelle est la région qui, en Corse, produit, le plus ?

- La Balagne était et reste toujours une grosse région oléicole d’autant que la Coopérative de Balagne a le mérite de regrouper énormément de petits producteurs. Ceci dit, il y a aujourd’hui, fort heureusement, des oliveraies en activité dans toute la Corse car il y a des oliviers partout.

 

- Le Nebbiu n’a-t-il pas été choisi comme région pilote pour l’olivier ?

- Ce sont des opérations locales et communales autour d’associations foncières qui regroupent des propriétaires aussi bien d’oliveraies, de chênaies que de châtaigneraies, des producteurs… L’objectif est la protection et la mise en valeur du patrimoine, tout en luttant contre les incendies. Pour les oliveraies, il s’agit de les sortir des ronces et de les louer à des producteurs. Ce qui est essentiel.

 

- Reste-t-il encore beaucoup d’oliveraies sous les ronces en Corse ?

- Oh, oui ! Il y a un patrimoine très important qui n’est pas mis en valeur et qui, malheureusement, peut partir en fumée. La création de ces associations foncières peut être une façon de sauver ce patrimoine. Ce ne sont pas seulement des oliviers ou des châtaigniers, mais des essences spécifiques, qu’il faut absolument sauver. D’autant que, dès que l’olivier est sorti du maquis, il recommence à produire, il produit même parfois sous les buissons ! C’est un arbre quasiment éternel. Il y a, en Corse, des oliviers vieux de 3000 ou 4000 ans !

 

- Y-a-t-il beaucoup de jeunes qui s’installent dans la profession ?

- Pour la plupart, les jeunes reprennent le flambeau de leurs parents. D’autres y croient et s’installent, mais se diversifient, car pour vivre simplement de l’oléiculture, il faut avoir des surfaces conséquentes, une quinzaine d’hectares au minimum. Ce n’est pas facile. Beaucoup se lancent, conjointement, dans la production de plantes aromatiques, qui est une filière avec des débouchés. On peut vivre de l’agriculture, mais pas de l’oléiculture, même si celle-ci peut représenter un apport important. Son avantage est de donner l’opportunité, pendant la saison estivale, de réaliser de l’argent frais, ce qui n’est pas toujours le cas dans l’agriculture.

 

- Cela suppose que l’oléiculteur écoule lui-même sa production. Combien y en-a-t-il qui le font ?

- La plupart des oléiculteurs vendent eux-mêmes leur production, soit directement dans un point de vente sur leurs propriétés, soit dans des magasins spécialisés de produits corses ou des hypermarchés. Chacun a sa marque propre et son étiquette.

 

- Quelle part de la production est exportée ?

- Un petit tiers est vendu sur le continent, mais tout le reste est écoulé dans l’île. Nous avons créé le GIE, le Groupement d’intérêt économique, justement pour ne pas bloquer le marché local qui reste limité alors que la production ne cesse d’augmenter chaque année. C’est pour cela que, d’une part, la Coopérative de Balagne qui produit de grosses quantités et, d’autre part, le GIE exportent leurs productions pour libérer ce marché local et permettent aux petits oléiculteurs ou aux jeunes, qui s’installent, de vendre sur place, à moindre coût. Un peu d’huile corse s’exporte aussi en Europe, et même en Chine. Le GIE prospecte ces marchés à l’exportation. Notre objectif est non seulement que l’huile d’olive de Corse s’exporte, mais qu’elle soit connue et reconnue.

 

- Quel bilan tirez-vous de la moisson de médailles récoltées cette année au Salon de l’agriculture ?

- Nous avons obtenu 5 médailles, lors du Concours général agricole, qui ont été remportées par des jeunes producteurs. C’est la preuve que la filière évolue dans le bon sens. Que des oléiculteurs chevronnés obtiennent des médailles, pratiquement tous les ans, est logique mais ces jeunes médaillés prouvent qu’ils ont, eux aussi, un savoir-faire important, acquis auprès des anciens, et qu’ils sont rentrés dans un système d’AOC avec la volonté d’être reconnu.

 

- Quels sont les projets du GIE ?

- Nous faisons beaucoup de promotion. Cette année encore, l’Oliu di Corsica s’affiche sur des grands panneaux 4x3 dans toute la Corse, en juillet et en août, pour faire savoir aux touristes que la Corse produit de l’huile d’olive. Cela peut paraître paradoxal, mais les touristes savent qu’en Corse, il y a du vin, du fromage et de la charcuterie, mais pas forcément qu’il y a de l’huile d’olive. C’est un produit traditionnel, mais qui restait marginal et familial, sans exportation, ni mise en valeur. La création du Syndicat et l’affiliation des producteurs ont donné de l’ampleur à la filière, mais il reste du travail pour faire savoir et comprendre aux gens, qui viennent de l’extérieur, que la Corse est aussi un pays d’huile d’olive.

 

- Que manque-t-il à la filière ?

- Il faut mettre en place un bon circuit de commercialisation à l’extérieur pour les gros producteurs afin qu’ils ne concurrencent pas les petits producteurs et qu’ils n’inondent pas, de leurs produits, le marché local. Nous y travaillons depuis des années, d’autant que l’augmentation de la production insulaire pourrait, les années de grosse récolte, saturer le marché intérieur, s’il n’y avait pas ces exportations. Lorsque l’olivier alterne, c’est-à-dire une année sur deux, il faut pouvoir réguler avec l’exportation de façon que le marché local soit toujours assez libre pour écouler les petites productions.

 

- Les huiles étrangères sont souvent accusées d’être coupées ou frelatées. Qu’en est-il de l’huile corse ?

- Je tiens à rassurer les gens. Non seulement je ne crois pas qu’il y ait, sous des étiquettes corses, de l’huile d’olive qui vienne d’ailleurs, mais en plus, je ferais toujours la chasse à ceux qui peuvent avoir envie de commercialiser de l’huile étrangère sous la dénomination AOC de Corse. Nous avons, chez nous, des producteurs et de très bons produits en quantité conséquente. Il n’y a aucune raison que l’on achète de l’huile ailleurs.

 

- Peut-on dire, vu son coût, que l’huile d’olive corse, comme la vraie charcuterie, est devenue aujourd’hui un produit de luxe ?

- Non. Je dirais un très bon produit de consommation. L’huile d’olive de Corse est l’une des moins chères sur le marché français. On la consomme normalement et quotidiennement. Il faut rester dans un prix raisonnable. Une bouteille de 50 cl est vendue entre 8 et 10 €, tout le monde y trouve son compte.

                                                                                      Propos recueillis par Nicole MARI

 

A suivre : le témoignage du producteur d’huile d’olive, A Merula, médaille d’argent au salon de l’agriculture.

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