Dominique Barbolosi, initiateur du forum de Corse : « Tout le monde peut comprendre les maths »

 Pourquoi avoir créé ce forum en Corse, il y a 3 ans, loin de votre lieu de travail ?

- D’abord, je suis Corse et, comme tous les Corses quand ils le peuvent, je voulais apporter quelque chose à mon île. Ceci dit, je travaille avec des élèves partout sur le continent. Je commence à faire des forums ailleurs, mais les deux premiers ont été lancés en Corse, l’idée et le concept ont été validés ici. Ce qui me fait très plaisir.

 

- Pourquoi participez-vous à ce type de manifestation ?

- Pour les élèves. Une civilisation, qui veut continuer à progresser et à s’épanouir, qui veut avoir un avenir, doit savoir former les scientifiques de demain. Je suis professeur d’université, à la fois chercheur et enseignant. Une partie de mon travail est de vulgariser les sciences, de faire passer le message et de former les futurs scientifiques. Il faut commencer avec les plus jeunes. En même temps, la pédagogie doit évoluer. Au Forum, des pistes sont proposées aux enseignants pour faire passer le message d’une autre manière aux élèves.

 

- Quelles pistes ?

- De nouvelles pistes plus ludiques et attrayantes. Dans ce forum, des élèves, qui n’ont pas reçu une formation traditionnelle et qui ont réussi à produire des choses assez extraordinaires, viennent le présenter aux autres élèves. Ces élèves ont bénéficié d’une autre manière d’apprendre. Ils travaillent différemment avec un chercheur et ne sont pas assis derrière un bureau à recevoir un flot continuel d’informations.

 

- Qu’entendez-vous par différemment ?

- Il ne s’agit pas de bourrer l’esprit, mais de poser des questionnements. On montre comment le scientifique travaille en se posant des questions, en émettant des pistes, en s’autocritiquant. L’élève a une façon d’apprendre assez monolithique. On enseigne toujours les mêmes choses alors qu’il y a des nouveautés et des sujets passionnants à proposer. Par exemple, des élèves du continent ont reçu un prix à Los Angeles pour avoir conçu une méthode qui permet aux voiliers de trouver le chemin le plus rapide pour faire le tour du globe.

 

- Vous accueillez des élèves très jeunes…

- Oui, dans des stages nommés Hippocampe. Pendant trois jours, ils travaillent avec des chercheurs et, à la fin, ils font un poster avec tout ce qu’ils ont découvert, leurs échecs, leurs réussites et leurs commentaires. Ils font un bilan comme on fait dans la vie. Face à un problème, on n’arrive pas toujours à un résultat mais on peut dire aux autres : je me suis arrêté là, tu peux prendre le relais. C’est la méthode scientifique.

 

- On dit que certains élèves ont la bosse des maths. Y croyez-vous ?

- C’est une stupidité insupportable. Comment peut-elle être encore colportée en 2012 ! Les gens confondent la créativité et la motivation. Mozart est un génie de la musique, c’est incontestable, mais est-ce que vous ou moi, ne sommes-nous pas capables d’apprendre à jouer du piano ? Tous les bons médecins ne sont pas Prix Nobel de médecine. Pourquoi n’y aurait-il pas des mathématiciens qui ne soient pas médaillés ou Prix Nobel ? On pense que les maths sont une matière à part où il y a les virtuoses et les autres. En réalité, il y a des gens motivés et d’autres qui ne le sont pas, comme dans tout.

 

- Beaucoup d’élèves font un blocage face aux maths. Que pouvez-leur dire ?

- Je leur dis ici, pendant le forum, que tout le monde peut comprendre les maths. Ce n’est pas de la démagogie. Bien sûr, plus vous montez en niveau, plus c’est difficile. Comme dans tout, dans le sport par exemple. La difficulté doit-elle empêcher les gens de progresser ? Pas du tout ! Dire qu’il y a des gens qui sont incapables de comprendre les mathématiques, c’est inacceptable et faux ! Toutes les personnes, qui le veulent, sont capables de comprendre, si on les conduit sur le chemin. La personne qui ne veut pas, je ne peux rien pour elle !

 

- Quelles sont les qualités d’un bon élève en maths ?

- La curiosité et la pugnacité. Il faut s’accrocher. Quand vous faites de la planche à voile, vous n’y arrivez pas du premier coup, vous montez dix fois, vous tombez dix fois. Si quand vous tombez la première fois, vous vous découragez, vous n’y arriverez jamais. Or, c’est curieux de voir des gens qui passent leur journée à tomber de la planche à voile et qui ne désespèrent pas, mais dès qu’ils se heurtent à un obstacle en maths, ils arrêtent au bout de quelques secondes ! Si vous mettez autant d’enthousiasme pour les maths que pour la planche à voile, vous serez aussi bon en maths qu’en planche à voile. Pas de doute ! Il faut être motivé ! La motivation peut venir de l’extérieur. Quand un élève ne donne pas de sens à un calcul abstrait ou à une formule, il faut lui montrer qu’avec des raisonnements abstraits, il peut résoudre des problèmes importants dans un domaine qui l’intéresse. Il peut avoir envie d’étudier les maths, pas pour les maths elles-mêmes, mais parce que elles sont un plus pour atteindre son objectif.

 

- Certains mathématiciens disent que tout est mathématique. Etes-vous d’accord ?

- Non. Dans l’histoire de l’humanité, des gens ont voulu tout réduire à une discipline : mathématique, physique, littérature... Cette vision très réductrice conduit à des impasses et à un comportement sectaire. L’activité humaine est multiple, tout est complémentaire. Aujourd’hui, il est communément admis que quelqu’un de cultivé connaît la peinture, la musique et la littérature, on ne parle jamais de maths ou de physique. Or, pour moi, au 21^ème siècle, quelqu’un qui ne connaît rien en physique, ni rien en maths, n’est pas cultivé. Il a un manque dans sa culture au même titre qu’un mathématicien qui ne connaîtrait rien à la poésie ou à la philosophie. Les mathématiques sont une activité humaine fondamentale comme les autres, ni plus, ni moins. Le danger pour notre société, c’est de faire croire aux gens qu’elles le sont moins.

 

- C’est-à-dire ?

- Si on ne comprend pas l’impact des maths parce qu’on en a une vision trop abstraite, on pourrait dire que ce n’est plus la peine de l’enseigner autant… Et de fil en aiguille, comme le latin a disparu un jour, peut-être finira-t-on par penser qu’il ne faut réserver les maths qu’à un petit nombre de personnes puisque, pour les autres, ça ne sert à rien. Ce serait très grave.

 

- Dans l’enseignement, les filières d’excellence ne passent-elles pas par les maths ?

- Ce n’est plus vrai depuis longtemps. Aujourd’hui, toutes les grandes filières, comme Sciences Po ou médecine, ne nécessitent pas un bac S pour réussir. La sélection par les maths n’existe plus car il ne faut pas utiliser les maths comme un instrument de sélection, elles n’ont pas été inventées pour cela. A l’inverse, il ne faut pas, dans un retour de balancier, supprimer les maths. Il faut faire comprendre que les maths sont fondamentales dans la pensée humaine.

 

- Après tout, est-il vraiment utile d’enseigner les maths à tout le monde ?

- Oui, mais en choisissant le niveau. On ne peut pas concevoir qu’un individu puisse s’insérer dans la société s’il ne sait ni lire, ni écrire. Quelqu’un, qui ne connaît pas les maths élémentaires, est aussi handicapé. Prenons l’exemple typique : un prêt bancaire. Votre banquier vous propose deux types de taux, comment allez-vous comparer si vous n’êtes pas capable de faire un pourcentage ? Si votre patron vous dit : à la fin du mois, j’augmente votre salaire de 30 % et, le mois prochain, je le diminue de 30 %. Gagnerez-vous pareil ? Bien sûr que non ! Idem pour les soldes ou les sondages. Si on veut rendre le citoyen libre, s’il ne veut pas se laisser abuser, il doit avoir un minimum de connaissances mathématiques. Il est communément admis que l’analphabétisme est un fléau, mais il est très difficile de faire comprendre que la déficience en calcul élémentaire, que certains appellent l’a-chiffrisme, est aussi grave pour une société moderne et dans la vie courante que le déficit en lecture et en écriture. C’est très curieux qu’on ne comprenne pas ça !

 

- Est-ce pour cela que le forum, qui s’adresse principalement aux enfants, est aussi ouvert au grand public ?

- Oui. Ce forum s’appelle : Maths pour tous. Il a une vocation de vulgarisation des sciences pour permettre aux gens d’accéder à la connaissance qui n’est pas réservée à une élite. Les gens ont envie de savoir comment fonctionne un laser, un GPS, comment on s’oriente en mer... Tout le monde est capable de comprendre pourquoi le ciel est bleu, d’où viennent les couleurs, comment fonctionne un four micro-ondes, etc. C’est aussi une incitation à se poser des questions et à donner les moyens d’y répondre. Certains scientifiques disent que le téléphone portable donne le cancer du cerveau, d’autres récusent. Pour choisir avec pertinence, il faut savoir ce qu’est une cellule, un neurone, une onde.. Et là, vous pourrez vous faire une idée si ce qu’on vous dit est vrai ou pas.

 

- Vous avez fait, lors ce forum, une conférence sur l’utilité  des maths. Les maths sont-elles plus utiles aujourd’hui ?

- L’utilité des maths est exactement ce qu’elle a été hier et ce qu’elle sera demain. J’ai donné, pendant la conférence, l’exemple de la mécanique quantique qui étudie l’infini petit, c’est-à-dire les électrons, les atomes, etc. C’est ce qui permet de fabriquer un téléphone portable, un four micro-ondes, un appareil médical… Tous ces instruments dérivent de propriétés physiques qui ne sont compréhensibles qu’à travers des concepts mathématiques. L’être humain n’a pas d’autre recours que travailler sur des formules pour savoir comment évoluent des électrons, comment produire un faisceau convergent à la puissance désirée pour traiter une maladie... Toute la technologie médicale, un scanner, un laser, une IRM et une échographie utilisent des mathématiques très sophistiquées. C’est la même chose pour un avion, un GPS, un radar, un sonar… Les maths sont omniprésentes.

                                                                                      Propos recueillis par Nicole MARI