Quadruple rendez- vous lundi à Bastia pour Alexandre Jacquin, journaliste à La Provence, Gérard Poncié, président de la section Provence de l'UJSF, et Rémi Lacassin, journaliste indépendant, qui ont présenté et signé l'ouvrage collectif "Furiani, 20 ans" aux librairies Papi et "Les deux Mondes", à l'IRA et, bien sûr, au stade de Furiani lors de SC Bastia-Châteauroux
A chacun de ces rendez-vous beaucoup de monde : des victimes, des parents, des amis, des responsables associatifs, des visages connus ou inconnus du grand public. Un peu comme si chacun voulait
exorciser à l'occasion de ce 20e anniversaire, l'horrible catastrophe du 5 Mai 1992.
Nos trois confrères qui ont pensé, conçu et ensuite collationné les témoignages des familles des victimes, des victimes et des temoins ainsi que les récits des journalistes blessés ont rappelé
que "Furiani 20 ans" était un livre à but caritatif réalisé sous l'égide de l'UJSF section Provence pour, dans le cadre de la commémoration des 20 ans de la catastrophe de Furiani,
offrir des lits médicalisés pour enfants aux hôpitaux de Corse et de Marseille.
Le livre que l'on peut se procurer un peu partout à travers l'ïle est en vente au prix de 15 €.
A noter que le site internet, dans lequel tous les points de vente sont actualisés au quotidien, vient d'être lancé : www.furiani20ans-lelivre.fr.
Vous pouvez aussi suivre toute l'actualité du livre sur Facebook.
" Je veux voir un match de foot !"
Charles Monti, qui le 5 Mai 1992 était chef des services sportifs de Corse-Matin, raconte dans "Furiani 20 ans" ce que fut cette horrible soirée
Il était, sans doute, écrit que le 5 Mai 1992 serait une mauvaise journée pour moi.
Parce que cette date signifiait la fin d’une belle aventure de journaliste de terrain. Et qu’il y eut ce… 5 Mai !
Ce jour-là, je devais faire mes adieux à Furiani, au Sporting, à Bastia et à la Corse pour exercer de nouvelles responsabilités au siège de la direction de Corse-Matin qui était toujours niçoise
à l’époque.
Je me revois encore en début d’après-midi, mon Compaq et ses 10kg – les ordinateurs portables sont bien plus légers aujourd’hui - accrochés à mon épaule dire au revoir, la gorge nouée
par l’émotion, à mon épouse.
Mais le cœur n’y était vraiment pas. Il est vrai que l’on ne tourne pas le dos à plus de quarante ans de vie du jour au lendemain.
« C’est ma « der » à Furiani. Je fête mon jubilé aujourd’hui. Et peut-être rentrerai-je plus tard. » Je ne croyais pas si bien dire…
Les 15 km qui séparent Figarella, où je réside, du stade de Furiani me semblent bien plus longs que d‘habitude non pas que j’ai voulu apprécier plus encore les mille et un détails du parcours.
Non. En levant machinalement « le pied », ce sont tout à la fois le désir, inconscient, de retarder mon futur professionnel et l’appréhension qui prédominent…
L’appréhension ?
C’est celle de découvrir ce nouveau Furiani, amputé de sa tribune latérale avec en lieu et place les praticables, que je n’avais pu voir complètement achevés puisque deux jours avant le
rendez-vous de la demi-finale SC Bastia-OM, j’étais parti avec Gérard Baldocchi, le photographe de Corse Matin, en reportage à la Commanderie à la rencontre de Raymond Goethals, Jean Fernandez,
Jean-Pierre Papin, Pascal Olmeta…
Et l’appréhension est toujours là quand, comme on le faisait à l’époque, après avoir découvert l’envers du décor de la tribune Nord sur laquelle des centaines de supporters s’agitent déjà,
j’accède à la pelouse du stade Armand-Cesari par l’immense double porte métallique bleue qui servait de Sésame aux dirigeants et aux joueurs.
Furiani est déjà en ébullition. Toutes les places sont pratiquement garnies. La nouvelle « tribune » est impressionnante. Sur la pelouse on y rencontre Bernard Tapie et Emile
Zuccarelli, ministres de François Mitterand. Des noms d’oiseaux volent dans tous les sens. La haine ruisselle de partout. On signale des incidents dans la partie Sud du stade réservée aux
supporters marseillais. On est loin très loin de l’ambiance de fête souhaitée.
Echanges avec Jean-Michel Larqué qui me parle de l’un de ses récents déplacements dans un pays nordique – je ne me souviens plus duquel – et regards furtifs vers la… « tribune de
presse » située tout en haut de l’édifice de fer et de planches érigé en un temps record…
Au cours de ma carrière j’avais pris pour bonne habitude de gagner l’espace réservé aux journalistes bien avant l’heure du coup d’envoi d’une rencontre, histoire de vérifier toutes les
connexions, rédiger les échos d’avant-match.
Ce 5 Mai 1992 j’ai du mal à me détacher de la pelouse.
Sont-ce les adieux ? L’ambiance particulière d’avant match ? Les deux sans doute à la fois
Pourtant il faut bien s’y résigner. Le chemin pour atteindre l’espace en question n’est pas aisé. Il faut se faufiler entre des centaines de supporters qui n’arrêtent pas taper sur les planches
qui servent de repose-pieds, en pousser certains et en déranger d’autres.
La tribune de presse enfin.
L’appréhension fait place à un grand choc. Pour s’asseoir il faut, à près de trente mètres du sol et sans aucune protection – quelle inconscience ! - se glisser sous le pupitre… d’écolier
qui va servir d’espace de travail.
Premières frappes, premières lignes sur l’écran du Compaq.
Premier tremblement de la tribune aussi. L’appréhension revient. Echanges de regards angoissés avec mon voisin de tribune Jean-Richard Graziani, de La Corse, auquel je lance comme si je
voulais par avance conjurer le mauvais sort : « Stà sera ci simu » (« Ce soir on y est »)…
Les joueurs de l’OM commencent leur échauffement.
Et puis…
Comme dans un mauvais cauchemar je reviens à moi.
Je suis allongé sur le dos sur le tuff de l’ancien terrain annexe.
A ma gauche, sans vie, Michel Mortier, le technicien de France Inter dont la presque homonymie a fait courir pendant un temps le bruit de ma mort.
A quelques centimètres à droite de ma tête un… parpaing.
Au-dessus de moi Jo Bonavita, le directeur sportif du club. Au désarroi de son regard je devine, plus que je ne comprends, l’ampleur de la catastrophe. Il me tapote sur l’épaule en me
disant : « Ça va, ça va ». Immobilisé au sol – on diagnostiquera essentiellement une fracture de la colonne vertébrale par tassement, avec une esquille d’os qui a miraculeusement
contourné la moëlle épinière, et un arrachement des ligaments croisés du genou – j’entends Jean-Marc Raffaelli, mon confrère de Corse-Matin se plaindre en gémissant : « J’ai, mal,
j’ai mal ».
La suite ?
On me raconte la scène de mon fils, Yann, à genou près de moi, les mains jointes, priant le ciel pour que je me sorte cette mauvaise passe.
Je revois le regretté Jean-Claude Battesti appelant à l’aide pour me brancarder sur la pelouse.
Je me souviens du défilé des joueurs du Sporting et Piotr Rzepka qui a tenu, un temps, la perfusion qui m’a été administrée, comme l’ont fait plusieurs amis connus et inconnus. De Jean Baggioni
et Emile Zuccarelli qui m’ont apporté leur soutien.
Et de Jacky Nicolini, qui lui aussi sera frappé par le malheur quelques jours plus tard, le médecin du club et partenaire de rugby, qui n’a eu de cesse de m’administrer des calmants pour
atténuer les effets de la douleur.
Puis dans ma semi-inconscience, le cauchemar reprend de plus belle.
Me voilà maintenant à bord d’un hélicoptère. On m’évacue.
Vers où ?
Sur Ajaccio. Les militaires peu loquaces, qui n’en sont sans doute pas à leur première rotation, me laissent quelques instants plus tard aux mains des ambulanciers qui, eux aussi, donnent
l’impression de ne pas avoir chômé.
L’hôpital. Sombre, un couloir, une longue attente. La silhouette d’un ministre – celle de Louis Le Pensec - qui s’en va.
Une chambre enfin. Des médecins. Beaucoup de médecins. Des examens. Des questions.
Mais c’est un match de football que je veux voir !
Je crois que je n’ai pas encore bien pris conscience de ce qui est arrivé.
Les visages de gens connus à mon chevet – Philippe Ciccada et de mon beau-frère Félix – ne m’aident pas davantage à comprendre ce que je fais immobilisé, loin de chez moi, dans cette chambre
d’hôpital.
Le jour qui arrive dissipe un peu mes angoisses. Mon épouse, Marie-France, qui, m’a cherché en vain durant toute la nuit à l’hôpital de Bastia, est elle aussi à mes côtés. Mais ce n’est que pour
un très court instant. Je vomis du sang. Emotion, affolement et grand branle-bas dans la chambre. Mes amis de Corse-Matin d’Ajaccio, qui se sont précipités au centre hospitalier dès qu’ils ont
appris la nouvelle, sont eux aussi invités à sortir : le corps médical craint une hémorragie interne.
Mais plus de peur que de mal. Hémorragie il y a eu. Mais elle été vite résorbée.
C’est de ma colonne vertébrale et de toutes les blessures inhérentes à l’aspiration et à la chute dans le vide qu’il faut prendre soin.
Un corset rigide, de longues semaines d‘hospitalisation à Bastia aux côtés de Jean-Paul Cappuri, qui était à La Corse à l’époque, des jours et des jours de rééducation, des centaines et des
centaines de visites de parents, d’amis, de confrères…
Seize mois de soins ne seront pas de trop pour remettre presque tout en place avant un retour à Furiani chargé d’émotion…
Mais le traumatisme, physique et moral, est toujours là.
Le physique ? Il se rappelle à mon souvenir dès lors que je sors des clous…
Le moral ? J’évite autant que possible d’évoquer cette maudite journée du 5 Mai.
Vingt ans après je n’ai toujours ni lu, ni vu tout ce qui a été écrit et réalisé autour de la catastrophe. Un peu comme si je voulais l’occulter à jamais de ma mémoire, quand bien même
l’actualité me rappellerait-elle la triste réalité.
Oui dans mon malheur, j’ai conscience, aujourd’hui, d’avoir eu beaucoup de chance.
Vous savez quoi ?
Même si ce n’est pas ce que je souhaitais vraiment, qu’est ce que j’aurais aimé, plutôt que vivre ce cauchemar, mettre le cap sur Nice !
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Au Repaire des Bonnes Affaires (mardi, 24 avril 2012 08:55)
A toutes celles et ceux qui ne peuvent se déplacer ou qui n'habitent pas dans les villes où le livre est disponible, possibilité de le commander par internet, voici le lien : http://www.au-repaire.com/livres-bd/370-5-mai-1992-furiani-20-ans-livre-commemoratif.html