François Bayrou : Pour une autonomie d’initiative et de décision

Le président du Modem, candidat à l’élection présidentielle, en visite éclair dans l’île, a profité de sa première escale bastiaise, pour préciser sa position sur les questions clés qui agitent, aujourd’hui, la Corse. Tranchant avec le jacobinisme de certains de ses prédécesseurs, il estime que la Corse doit définir, elle-même, sa propre organisation politique, tout en refusant l’idée d’un nouveau statut. Se posant en défenseur de l’identité et des langues régionales, il est favorable à la signature de la Charte des langues minoritaires. 

 

Ce n’était pas la foule des grands jours. Rien à voir avec la bousculade, savamment orchestrée par les caciques de la gauche nordiste, lors de la venue, dimanche dernier, de François Hollande. Pas même avec l’intérêt qu’a suscité la venue de Mélenchon.

C’est en toute simplicité que cet homme discret et affable va arpenter la Place Saint-Nicolas, entouré de quelques soutiens locaux venus des quatre coins de l’île, dont Jean Toma, le maire de Sari-Solenzara, patron du Modem en Corse, et Claude Flori, conseiller général du Nebbiu.

Première étape au Café Napoléon où  le Président du Modem, qui n’a recueilli que 12,36 % de voix en Corse aux présidentielles de 2007 contre 18,57 % au niveau national, a convié la presse pour préciser sa position sur les débats locaux et réagir à une actualité plus nationale.

L’affaire des Corses 

C’est avec beaucoup de prudence, dans un préambule où chaque mot est soigneusement pesé, que François Bayrou aborde la question corse, si casse-gueule, qui, dans l’île, fait trébucher ses principaux adversaires.

Pour le Béarnais, girondin par essence et par tradition, les affaires corses sont d’abord et surtout l’affaire des Corses eux-mêmes. « En Corse, on sait plus qu’ailleurs que l’élan des régions, cet élan économique nécessaire, ne peut venir que des régions elles-mêmes. L’Etat doit aider, mais c’est principalement de Corse que viendra un nouvel élan de la Corse ».

Une organisation par région

Se présentant comme un défenseur de longue date de « l’autonomie d’initiatives et de décisions qui est absolument nécessaire », il déclare soutenir « toutes les initiatives locales, car je suis persuadé que les initiatives doivent d’abord être locales, notamment dans les domaines de l’énergie et de l’amélioration de l’ensemble des entreprises touristiques ».

Evoquant la réflexion régionale sur l’architecture des régions, qui a lieu notamment en Alsace, François Bayrou affirme n’avoir « aucun inconvénient à imaginer que la société corse débouche sur une organisation. Je suis pour que chaque territoire définisse sa meilleure organisation. Je pense que les adaptations législatives décidées par les assemblées régionales, notamment en Corse, ont du sens ».

Pas de nouveau statut

En clair, le candidat centriste se prononce pour l’autonomie de la Corse, si cette autonomie est voulue par la population.

Néanmoins, à la question « Etes-vous favorable à un nouveau statut pour l’île qui aille encore plus loin ? », il rétorque : « Je ne pense pas que la question constitutionnelle doive être constamment reprise et remise sur le tapis ».

Pas question donc de changer la Constitution pour permettre les évolutions réglementaires et législatives, ni de s’engager dans l’exercice périlleux d’élaborer un nouveau statut pour la Corse où tous les gouvernements, de droite et de gauche, se sont cassés les dents.

Une double représentation

Car, pour le Béarnais, la question institutionnelle n’est pas primordiale, l’important est la légitimité de la représentation, celle des territoires et de leur diversité entre montagne et littoral, milieu rural et milieu urbain, et celle des idées.

« Mon idée, c’est que département et région, en Corse il y a deux départements et une région, doivent rapprocher leurs moyens d’action pour être plus efficaces. Le jour venu, le bon équilibre se trouvera dans une loi électorale qui permettra de représenter, pour moitié les territoires de Corse à travers des grands cantons et un scrutin direct, et pour l’autre moitié les opinions par un scrutin à la proportionnelle. Les électeurs auraient ainsi la possibilité de choisir leurs élus, un élu par grand canton, et de rester proches d’eux.

Une double légitimité

Cet équilibre territoires/opinions, représentation des territoires au scrutin direct/représentation des opinions au scrutin de liste, donne l’image de ce que seront les autorités régionales futures, version MODEM. « Je défends ce double principe qui permet de trouver des accords nouveaux, plus larges. Cette double légitimité donnera de l’assise à la représentation politique ». Pour François Bayrou, il est essentiel de renforcer la légitimité des élus qui pourront, ainsi, prétendre s’occuper des problèmes insulaires et porter des initiatives économiques, énergétiques, touristiques, en matière de transports, etc. 

Une autorité de contrôle

Seulement, la légitimité, aussi large soit-elle, n’exclut pas les dérives et donc exige un contrôle des institutions de l’Etat.

« Il faut qu’il y ait une possibilité de vérification pour éviter des décisions hasardeuses qui pourraient remettre en cause les équilibres fondamentaux. On ne sait jamais si, un jour, une majorité décide de lotir le littoral, il faut une autorité qui défend la loi littoral. »

L’autorité de contrôle pourrait être, soit le Conseil constitutionnel, soit le Parlement. «  Autrement, je suis pour l’expérimentation, l’innovation. Les plus légitimes pour s’occuper de la Corse, ce sont les Corses. Ceux qui ressentent le plus la situation de l’île, ce sont les Corses eux-mêmes », martèle, encore, François Bayrou. 

Pas de territorialisation de l’impôt

Concernant la territorialisation de l’impôt, il récuse la proposition de François Hollande en argumentant sur le manque de moyens des régions pauvres. « Je me méfie beaucoup des innovations de ce type. La territorialisation de l’impôt, cela veut dire qu’il n’y aura pas beaucoup de ressources pour la Corse. Je suis, au contraire, pour une péréquation qui fasse que les régions riches fournissent un effort pour les régions qui ont besoin de soutien ».

Un défenseur des langues régionales

Sur une autre question clé posée aux présidentiables concernant la langue corse, le Béarnais, qui parle couramment sa propre langue régionale et est féru de langues romanes, est très à l’aise. « Je suis un défenseur, depuis des années, de l’identité régionale et des langues régionales, de la richesse que représente pour le pays la diversité de ses langues et de ses cultures. Je l’ai dit récemment à Toulouse, à Pau, à Perpignan, en Bretagne, en Alsace et je le dis en Corse avec beaucoup d’intention ».

Rappelant que ce samedi était une journée nationale autour des langues régionales, il se dit favorable à la ratification par la France de la Charte des langues minoritaires. « C’est d’ailleurs une charte assez souple avec un menu où l’on peut choisir, mais c’est un acte de reconnaissance de la légitimité des langues qui ont fait notre patrimoine et notre histoire ». Mais, il se montre plus réticent et plus flou sur la co-officialité de la langue corse.

La lutte contre la violence

Enfin, le candidat à l’élection présidentielle ne pouvait échapper à la question sur la violence qui secoue la Corse et l’accumulation des meurtres de droit commun au taux d’élucidation criminelle le plus faible de France. Une question où il apparut plutôt gêné et où il va, là encore, se contenter de renvoyer les Corses à leurs propres affaires.

« L’Etat, tout seul, ne peut rien si les Corses ne sont pas, eux-mêmes, engagés dans la lutte contre cette violence. Sans la société corse, la justice, la police et le renseignement n’y arriveront pas. La société corse doit prendre, en partie, mais pas seule, la détermination de se battre et d’éradiquer cette organisation criminelle qui la pourrit ».

Des propos plutôt abstraits dont on ne comprend pas trop s’ils incriminent ou non une responsabilité collective de la population insulaire, une idée largement répandue sur le continent.

Le rôle du renseignement

Quand on lui demande ce que les Corses doivent concrètement faire, il élude : « Il faut des moyens locaux, du renseignement. Le renseignement joue un très grand rôle dans la lutte contre ces réseaux, ces trafics, ces mafias et ces organisations criminelles dont on a vu le mal qu’elles ont fait ailleurs. C’est la raison pour laquelle on a besoin d’une volonté de la société corse de sortir de tout ça. ».

Et s’il se refuse néanmoins à céder à  la facilité d’accuser une pseudo-loi du silence quasi-mythique, il va botter en touche sur une quelconque responsabilité ou faillite de l’Etat. « On a l’impression parfois d’une fatalité, on regarde ces crimes qui s’additionnent et se multiplient. Autrefois, il y avait un autre type de criminalité terroriste. Aujourd’hui, c’est devenue une criminalité mafieuse qui est encore plus dangereuse pour la Corse ».

L’utilité des JIRS

Tout en avouant ne pas bien connaître les problèmes que posent, en Corse, les juridictions d’exceptions, il légitime leur existence et leurs actions, notamment en matière de terrorisme. « Les juridictions anti-terroristes existent à peu près dans toutes les démocraties et permettent d’éviter une pression trop lourde sur les juges. Je suis pour qu’on aille le plus possible vers des juridictions de droit commun, simplement contre le terrorisme, toutes les démocraties du monde vont dans le sens de juridictions protégées ».

L’hommage à Pascal Paoli

Ce sera tout sur les questions corses.

Puis, comme ses prédécesseurs, le Béarnais, amateur de produits du terroir, s’est plié au rituel du marché où il a dégusté les spécialités locales, oursin et migliacchi, et discuté avec les commerçants et la population. La séquence bastiaise s’est achevée autour d’un casse-croute convivial sur le Vieux Port, au Bar Le Pigalle.

La halte sera de courte durée, François Bayrou étant attendu à Morosaglia où, fait unique pour un candidat à la présidentielle, il s’est rendu dans la maison de Pascal Paoli pour rendre un hommage fortement symbolique au père de la nation et de la constitution corses.

Des produits identitaires

Enfin, le candidat aux fortes racines paysannes a rejoint l’exploitation de Jean-Marc Venturi, le président de la Chambre d’agriculture de Haute-Corse, pour y rencontrer des exploitants, dont il estime être le mieux placé pour comprendre les problèmes.

Pour lui, la solution à la crise agricole passe par la valorisation des terroirs. « C’est dans la recherche de la qualité des produits, des signes d’origine, de circuits courts que se trouve une partie des ressources supplémentaires que l’agriculteur doit trouver pour s’en sortir. Ce n’est ni dans la facilité à cultiver, ni dans la taille des exploitations, ni dans l’agriculture industrielle que l’agriculture corse va trouver sa réponse, c’est dans la qualité des produits identifiés comme étant de qualité corse et vendus sur le continent et en Corse au prix nécessaire », leur expliquera, en substance, le seul présidentiable à être agriculteur et à cotiser à un syndicat, la FNSEA.

François Bayrou a poursuivi, alors, sa route vers Ajaccio où se termine, ce dimanche, sa visite éclair sur le sol insulaire.

                                                                                                                               N. M.

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