Indignés d'Air France : La cour d'appel de Bastia rend son arrêt le 28 Mars

Nouvel épisode judiciaire pour les Indignés d’Air France, ce mardi matin, devant la chambre sociale de la cour d'appel de Bastia. La décision, mise en délibéré, sera rendue le 28 mars prochain. Mais l’avocat de la compagnie aérienne a déjà prévenu à l’audience que toute embauche était exclue. Une réunion est prévue, ce mercredi, à Paris entre les délégués CGT corses et la direction. Commentaires de Charly Levenard, secrétaire de la section CGT Air France de Bastia.

« Quelle que soit la décision rendue, il n'y aura pas d'embauches pour ces jeunes... », lance, tranchant, Me Maxime Rouillot, l’avocat d’Air France, « la situation d’Air France en Corse ne le permet pas ! ». « Maître, vous faites donc peu de cas de nos décisions... » réplique, David Macouin, le président de la cour d'appel de Bastia, qui avait, pourtant, d’emblée, pris soin de prévenir qu’il devait « dire le droit » et juger l’affaire sur le fond.
Un rapport de forces
Ces deux répliques résument, à elles seules, le conflit qui oppose, depuis plus de cinq mois, 45 CDD d’Air France à leur employeur. Le rapport de forces s’est amorcé, en septembre dernier, avec une décision prudhommale qui a requalifié les 45 contrats en CDI et le refus de la compagnie aérienne de s’y soumettre. Il s’est progressivement durci avec l’entêtement d’Air France à récuser huit autres décisions judiciaires qui ont, toutes, confirmé la première, et ce, malgré sa condamnation à des astreintes qui atteignent aujourd’hui plus de 10 millions d’euros.  Il s’est cristallisé par l’occupation des aérogares de Bastia et d'Ajaccio, depuis maintenant plus de cent jours, par ces ex-salariés devenus Indignés et soutenus par le syndicat CGT. Mais rien ne semble faire plier Air France.
" Des chiffres fantaisistes "
L’audience, qui a duré plus de quatre heures, n’a rien apporté de nouveau. Devant les Indignés, les délégués CGT corses, le secrétaire général de la CGT et une trentaine de délégués CGT des escales continentales d’Air France venus en renfort, l’avocat de la compagnie aérienne a été clair : impossible d’embaucher des CDD car « Air France perd, depuis quatre ans, 25 millions d’euros par an sur la Corse ! » Des chiffres que la CGT qualifie de « fantaisistes et de mensongers ». Et elle n’est pas la seule ! Cet avis est largement partagé par l’exécutif territorial aux buttes aux « demandes extravagantes » de la compagnie dans les discussions sur le renouvellement de la DSP (Délégation de service publique) aérienne.
Un refus obstiné
« Aujourd’hui, la priorité d’Air France n’est pas d’embaucher des saisonniers, mais de faire avec l’existant, et donc de réorganiser l’escale corse pour ne plus recourir à des CDD. Il n’est pas question de requalifier ces contrats », continue d’asséner Me Maxime Rouillot. « Si la justice décidait de requalifier ces contrats, cette affaire se traduirait par des dommages et intérêts et absolument pas par une requalification. Si elle décidait une réintégration, Air France serait amener à prendre des dispositions pour fournir du travail à ces agents, mais pas forcément en Corse, et peut-être des réaffections leur seront proposées ». L’avocat refusant néanmoins de croire que la Cour d’appel confirmera les sanctions antérieures.
Ces justifications économiques font bondir la défense qui les considère « hors sujet » et « incohérentes » au regard du cout de la sous-traitance de certaines activités de la compagnie dans l’île.
Des vols annulés
Pendant le temps de l’audience, la direction d’Air France annulait, sans prévenir, le vol Paris-Bastia de 9h20 et son retour sous prétexte d’une « possibilité de grève ». Histoire d’accentuer la pression après la publication dans le quotidien Le Figaro du week end dernier d’un article accusant les escales corses de pratiquer l’absentéisme, « 30 % en plein été ».
Des propos peu propices à ramener la sérénité, la veille du redémarrage d’un dialogue interrompu depuis le 20 janvier. Difficile dans ce contexte d’augurer une issue favorable à la réunion prévue, ce mercredi, au siège parisien de la compagnie entre la direction et les délégués CGT corses assistés du secrétaire général de la CGT.
Les Indignés, eux devront encore patienter avant d’être fixés sur leur sort. 
                                                                                                                                   N. M.

Charly Levenard : « Il y aura requalification ! »

- Que pensez-vous du refus d’Air France, exprimé par son avocat, d’embaucher les indignés et de requalifier les contrats, quelque soit la décision de justice ?
- C’est révélateur de l’état d’esprit d’une direction qui, quelque soit le domaine, que ce soit le droit ou l’entreprise, a décidé de passer en force comme si les juges et la représentativité du personnel n’étaient pas là. Air France a réclamé des juges professionnels en jetant le discrédit sur des juges prudhommaux. La moindre des choses serait d’accepter et d’appliquer leurs décisions.
- Croyez-vous que la compagnie va finir par accepter ?
- Le jugement des Prudhommes a donné une mesure exécutoire. L’acharnement procédural d’Air France a créé des conditions pour que l’astreinte atteigne 10,4 millions d’euros. Les astreintes continuant, leur montant avoisinera 14 millions au 28 mars. Si Air France n’applique pas la décision de justice, elle peut être condamnée à payer des indemnités de licenciement, assorties du montant des astreintes. Les 45 CDD, concernés par la requalification, représentent 975 000 € de salaires, charges comprises ! Air France paierait donc les CDD 14 ans à ne rien faire ! Elle ne pourra plus traiter l’activité à terre d’Air Corsica, or l’assistance des vols ATR sur Bastia et Ajaccio représente 1,6 million € par an, soit un bénéfice de 600 000 € par an. Pourquoi s’en priver ! Ce serait économiquement contre-productif !
- Dans ce cas, comment expliquer l’attitude d’Air France ?
- Je ne comprends pas. Par dogmatisme ! Le 7 février, nous avons adressé un courrier à notre direction disant que nous ne comprenons pas pourquoi il est nécessaire d’avoir recours à des juges, mêmes professionnels, pour régler ce conflit. Nous sommes confiants. Une large place peut être laissée à la négociation. Si la direction d’Air France se ressaisit et veut bien discuter avec nous, nous pouvons trouver une solution en tant que partenaires, à condition que nous soyons considérés comme des partenaires sociaux.
- L’avocat d’Air France assure également que si la justice force à réintégrer les ex-CDD, des réaffections seraient proposées hors de Corse.
-  Ils ont déjà  tenté. En tout début de médiation, dans un élan de grande bonté, ils ont proposé 7000 € à chaque CDD contre l’arrêt de la procédure. Ensuite, ils sont allés jusqu’à 30 000 €. Comparé à un emploi, c’est indécent ! Il y aura requalification ! Et ensuite il y aura un rapport de forces ! Nos jeunes salariés requalifiés travailleront à Bastia et à Ajaccio. Nous sommes très clair : soit la loi s’applique pour tout le monde, soit nous lutterons pour que les jeunes soient intégrés là où la justice l’aura décidé. Or, le temps partiel intermittent, l’emploi qui les concerne, n’existe que sur Bastia et Ajaccio. Nous avons signé un accord local avec la Direction pour que les embauches, de la fin mars jusqu’à fin octobre, soient considérées comme des emplois permanents.
- Comment réagissez-vous à l’article du Figaro qui accuse l’escale d’un fort absentéisme ?
- Le Figaro prétend beaucoup de choses. Ces affirmations sont fausses et anonymes. La Direction d’Air France a manifestement commandé cet article. Elle a pris aujourd’hui une autre décision scandaleuse en annulant le vol de Paris pour risque de grève. Nous ne voulons pas polémiquer. Mais si c’est une façon de miner les négociations prévues demain, nous répondrons à ces actes après-demain.
- Qu’attendez-vous justement de cette négociation ?
- Il y a un paradoxe : la direction d’Air France nous demande de créer les conditions d’un climat apaisé. Nous n’avons jamais été aussi paisibles. Et la direction répond, par le biais d’un article mensonger, ordurier, humiliant pour nous et en prenant la décision d’annuler un avion. C’est un manque de respect des usagers et des salariés. 
- La crainte exprimée par les salariés corses d’Air France sur leur propre avenir est-elle avérée ?
- Oui. Nous sommes en train de payer les conséquences d’une politique de dérèglementation des transports aériens en Europe qui se traduit par la montée en puissance, en toute impunité, des compagnies low cost qui agissent grâce à des subventions illégales. Bruxelles, comme Paris, va dans cette démarche. Nous subissons ces attaques contre notre statut, contre nos conditions de travail, contre nos effectifs, contre nos salaires. Air France est en train de se « lowcostiser » en faisant disparaître tous les services que nous rendons pour devenir la 1ère compagnie française low cost. Nous ne nous laisserons pas faire. Notre clientèle n’est pas composée d’hommes d’affaires, mais de familles, de personnes âgées ou malades, qui ont besoin d’un service.
- Que vous inspire la pression exercée par Air France sur le renouvellement de la DSP?
- Air France est historiquement liée à la Corse qui a besoin d’un service public fort parce que le marché ne se suffit pas à lui-même sinon plusieurs compagnies se seraient positionnées. Seul le service public peut répondre aux particularités de la desserte de la Corse. Air France en a les moyens mais se trouve un peu contrainte de le faire.
- Voulez-vous dire qu’Air France reste en Corse contre sa volonté ?
- Contre la volonté de sa nouvelle politique ! C’est manifeste ! Une DSP impose des contraintes et les opérateurs privés, comme Air France, ne veulent plus aujourd’hui de contraintes. Ils veulent être libres à l’exemple des compagnies low cost qui desservent une région pendant un an ou deux, puis s’en vont ailleurs quand ce n’est plus rentable. 
                                                                                  Propos recueillis par Nicole MARI

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