Assises de la Haute-Corse : Un transport refusé

Coup de théâtre au troisième jour des débats du procès d'Henri Giusti, accusé d'homicide dans un conflit foncier. Le procès a été bousculé par une demande impromptue de transport sur les lieux du drame, émise par la défense, suite à l'audition de deux témoins directs. L'expertise balistique infirme, en partie, la version de l'accusé.

Transport ou pas sur les lieux du drame ? La question est venue secouer des débats poussifs, mercredi après-midi, obligeant les différentes parties à plaider cette demande inattendue de la défense. Le président Hoareau, plutôt ennuyé de la requête, l'a rejeté, après une très courte délibération, estimant qu'elle n'était pas utile à la manifestation de la vérité, les jurés disposant déjà de tous les éléments pour trancher, notamment d’un certain nombre de planches photographiques.
Un acte inhabituel
Le transport d'une Cour d'assises sur les lieux du drame est un acte inhabituel, mais pas exceptionnel. Pourquoi la défense, par la voix de Me Jean-Sébastien De Casalta et Me Gilles Simeoni, a-t-elle saisi, en plein procès, la Cour d'une telle demande alors que la reconstitution n'a pas été remise en cause ?
Pour Me Jean-Sébastien De Casalta, la demande est « légitimée par le contenu des débats qui mettent en relief l'insuffisance de l'instruction et les incertitudes sur la matérialité des lieux ». Il plaide la nécessité de vérifier les circonstances dans lesquelles les différentes confrontations avec les protagonistes du drame se sont effectuées. Il argumente que les deux témoins visuels de la scène d'homicide de Guillaume Sage, qui ont livré un certain nombre d'éléments sur la topographie des lieux, n'ont été, ni invités à la reconstitution, ni confrontés à la version du prévenu.
La requalification des faits
Mais la véritable motivation c'est Me Gilles Simeoni qui va l'énoncer : « Les enjeux sont paroxystiques. Il y a, d'un côté, une accusation qui est portée et qui demande de statuer sur deux crimes parmi les plus graves et, de l'autre, un homme qui dit : J'ai tiré et j'ai blessé quelqu'un, je n'avais l'intention ni de tirer, ni de blesser, soit une affaire qui aurait pu être jugée en correctionnelle. Quand les enjeux sont énormes, la justice ne peut pas se priver des instruments que la loi prévoit ».
C'est que l'enjeu est d'importance puisqu'il porte sur la qualification de l'acte. Y a-t-il eu, comme le définit l’accusation, tentative d'assassinat et assassinat, ce qui pose les questions subséquentes de la préméditation et de l'intention d'homicide, ou, comme l'affirme la défense, une simple violence avec armes ayant entraîné la mort ? Le trajet effectué par l'accusé est d’autant plus capital pour prouver ou infirmer la circonstance aggravante de la préméditation, que, selon Me Simeoni, « l'accusation peine à trouver un mobile et des preuves, qu’il n’y a ni éléments scientifiques, ni témoignages directs ».
Pas de scoop
La partie civile va violemment contester le transport par la voix de Me Angeline Tomasi, conseil de Raymond Damiani : « Il n'y a pas une seule incertitude. Henri Giusti n'a jamais contesté la déposition de Raymond Damiani. On veut distraire la Cour et faire croire à une complexité qui n'existe pas. La qualification ne relève pas d'un transport sur les lieux. Le transport est tout à fait inutile, aucun élément nouveau n'a été produit à la barre ».
Refus identique de l'avocat général : « Le débat porte, d'une part sur la préméditation, d'autre part sur l'intention d'homicide. En quoi le transport, la vision d'un paysage peut-elle avoir une influence sur ces points ? Nous n'avons jamais eu aucun scoop d'audience. Il n'y a rien de nouveau, ni l'ombre d'un argument qui justifie un transport sur les lieux ».
La crainte du renvoi
Même position de Me Jean-Louis Rinieri, avocat de la famille Sage, qui craint une stratégie de la défense : « Je me demande si ce que la défense veut, ce n'est pas le renvoi. Nous ne voulons pas le renvoi, à aucun prix. Je m'oppose au transport sur les lieux, mais s'il le faut, on ira ».
En réponse, Me De Casalta, excluant toute idée de renvoi du procès, feint la surprise : « Je m'étonne que l'on redoute tant cette mesure sollicitée. Une vérité que l'on affine, si elle ne peut pas supporter être bousculée, est bien fragile ! Tout le raisonnement de l'accusation est fondé sur le dessein criminel de vouloir porter atteinte à l'intégrité physique de Mr Ravary. C'est parce qu'il n' y serait pas parvenu qu'Henry Guisti aurait tenté d'assassiner Mr Damiani ».
Vérité et Confusion
Le cœur de la question est, effectivement, de savoir si le prévenu pouvait ou non tirer sur Patrick Ravary, qui se trouvait placé au-dessus de lui. La défense l'affirme, l'accusation le nie. Les experts ne concluent pas.
La décision du président Hoareau de rejeter la demande de transport n’a pas vraiment surpris. La défense s’est contentée d’en « prendre acte. Cette mesure nous paraît hautement préjudiciable à la vérité ». L’épisode aura eu le mérite de rajouter de la confusion à un procès qui n’en manque pas !
Auparavant le médecin-légiste, dont l’enquête s’est avérée bien incomplète, a confirmé que Guillaume Sage était bien décédé d’une hémorragie thoracique, consécutive à des lésions par balle, à l’hôpital de Bastia où il avait été évacué par hélicoptère.
Accident ou Assassinat
A la suite, l'expertise balistique met à mal certaines déclarations de l'accusé. L’expert affirme que le pistolet 7,65 mm utilisé contre Raymond Damiani n’est pas défectueux et que le déclenchement du tir impose une forte pression sur la détente.
A la question de savoir pourquoi le prévenu a changé d’arme, pris un fusil et l’a chargé avec des cartouches de chevrotine, l’expert rétorque qu’un fusil donne « plus d’allonge et plus de puissance ». Il s’étonne que la sécurité n’était pas enclenchée.
S’il refuse de trancher entre le tir accidentel ou volontaire, il déclare que la version dl'accusé trébuchant à 30 mètres et tirant sans le vouloir, n’est pas plausible à cause d’une gerbe de plomb trop concentrée sur le thorax de la victime qui situe le tir à environ 16 mètres.
L'animation causée par la demande de transport aura fait presque oublier l’audition, attendue, de la veuve de Guillaume Sage. Brève, concise, émouvante, Géraldine Sage avoue avoir « tant de choses à dire », mais se concentre sur l’essentiel, le récit des faits. Une audition très courte, comme une parenthèse tragique, dans une affaire où, de la scène funèbre jusqu’au cœur des audiences, la terre compte plus que les hommes.
                                                                                                                                N. M.

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