Après quatre années passées à la tête du Parquet général de Bastia, Paul Michel va très prochainement quitter la Corse pour rejoindre sa nouvelle affectation à Grenoble. Profitant de sa dernière rentrée solennelle devant la Cour d'appel, il fait, pour Corse Net Infos, le bilan de son activité de Procureur général et livre son sentiment sur la criminalité insulaire.
- Quel bilan personnel tirez-vous de ces quatre ans passés comme Procureur général de Bastia ?
- J'ai la satisfaction d'avoir pu conduire une politique pénale permettant de lutter contre les facteurs favorisant les crimes. J'ai mis en place et amplifié une politique de lutte contre
l'économie souterraine et la circulation des armes. J'ai également développé très fortement les réponses pénales, notamment les réponses rapides, comme les comparutions immédiates et les
procédures simplifiées. Le taux de réponse pénale est très élevé : 98 % à Bastia et 92 % à Ajaccio. En 2011, le Parquet a utilisé 246 comparutions immédiates au Tribunal de Bastia et 191 à
Ajaccio.
- Quelle est l'importance de ce taux, comparé à celui de ressort similaire ?
- C'est un taux important compte tenu du nombre de procès-verbaux établis par les services de police et de gendarmerie et de la population corse qui compte, au plus, 305 000 habitants. Par
exemple, la réponse est immédiate dans l'un des axes prioritaires de la politique pénale : les armes. Toute personne, qui est trouvée porteuse ou détentrice d'un arme de 1ère ou de 4ème
catégorie, par exemple un pistolet 9 mm, un 11 43 ou un Smith et Wesson, est poursuivie en comparution immédiate sans aucune hésitation. Elle est interpellée, placée en garde à vue, entendue et
déférée devant le Tribunal.
- Les armes sont-elles un problème inquiétant en Corse?
- Oui, mais ailleurs aussi. Sur le continent, les armes sont un phénomène qui peut devenir inquiétant, voir même très inquiétant, par exemple dans certaines banlieues.
- Ce n'est donc pas une spécificité corse?
- Pas totalement. Sur le continent, l'usage d'armes blanches est plus important. Ici, les meurtres sont commis uniquement par des armes à feu. Il faut donc absolument lutter contre leur
circulation. Prenez deux affaires : le meurtre d'un étudiant à Corte en 2009 commis sur la voie publique par un autre étudiant. Est-il normal que des étudiants soient armés ? Non. L'autre exemple
: un étudiant brillant a été tué dans une boite de nuit à Porto Vecchio par une personne liée à la Direction de l'établissement sous prétexte qu'il y avait introduit des boissons alcoolisées. Il
n'est pas normal que l'on soit confronté à ce genre de drames alors qu'une politique plus dissuasive pourrait éviter que des gens soient armés et soient tentés de se servir des armes.
- Les armes dans les banlieues sont liées à la délinquance alors qu'ici posséder une arme est plus général ?
- Pas totalement. Il y a peut-être un attrait pour les armes mais il est possible de détenir légalement des armes en Corse en respectant la loi. Nous n'allons pas enlever un fusil de chasse à un
chasseur si son fusil est déclaré. En revanche, nous ne voulons pas que des armes dangereuses circulent, qu'elles servent à des règlements de compte ou à des meurtres commis en dehors des
règlements de compte. Je suis persuadé qu'avec une politique énergique dans ce domaine, on peut éviter des assassinats. Quand bien même, on n'évitera qu'un seul assassinat, cette politique est
légitime.
- Le second axe prioritaire est l'économie souterraine. Le pôle financier est-il vraiment actif en Corse ?
- Oui, il travaille et il a des résultats. Des affaires sont jugées. Une cinquantaine de dossiers est en cours. Il faut traiter tous les aspects de l'économie souterraine : le travail illégal, le
blanchiment d'argent, la non justification de ressources et autres infractions financières. L'élément nouveau est l'accroissement du nombre de signalement fait par Tracfin.
Cet organisme financier, lié au ministère des finances, adresse de plus en plus de signalements aux procureurs de la République de Corse sur des mouvements de fonds suspects. Il est
alimenté par des déclarations de soupçons qui doivent lui être adressées par des personnes assujetties à cette obligation de déclaration.
- Qui sont ces personnes ?
- Les notaires, les banquiers, tous ceux qui manient des fonds, les professions judiciaires, y compris la profession d'avocat sous certaines conditions particulières. Si ces déclarations ne sont
pas effectuées, ces personnes tombent sous le coup de la loi pénale.
- Lors de la rentrée solennelle de la Cour d'appel, vous avez dressé un bilan de l'année 2011 que vous avez jugé plutôt satisfaisante ?
- Oui, sur les conditions dans lesquelles la justice est rendue en Corse.
- Est-ce par référence à une époque où l'on disait que la Corse n'était pas dans un état de
droit ?
- Justement, tout l'enjeu de l'action, qui doit être menée dans la justice ici, est de faire en sorte que les procédures normales s'appliquent. Il n'y a pas de procédures dérogatoires. La JIRS
est une juridiction spécialisée, qui ne recueille qu'à peine le 4/5eme des affaires corses, en raison de sa spécialisation. Quand la délinquance a un aspect international, qu'elle nécessite des
investigations financières très poussées, on saisit les magistrats spécialisées de la JIRS, qui ont moins de dossiers à traiter et donc plus de temps pour s'y consacrer. C'est un facteur
d'amélioration du traitement des affaires. C'est uniquement pour cette raison que les dossiers sont envoyés ailleurs. Le principe est de traiter la grande majorité des affaires ici.
- Beaucoup de meurtres liés au grand banditisme ne sont pas résolus ?
- Vous croyez que c'est facile ! Ce n'est pas plus facile ailleurs de résoudre ces affaires !
Le travail d'élucidation d'un meurtre, qui se déroule dans le grand banditisme parisien ou marseillais, est aussi complexe. Néanmoins, si on étudie objectivement la réalité, on s'aperçoit que des
affaires sont élucidées ou en voie de l'être.
Il n'y a pas de fatalité de l'échec des enquêtes, c'est la volonté d'aboutir et l'emploi des moyens adéquats qui permettent d'aboutir à des résultats.
- Certains parlent de dérive mafieuse en Corse. Qu'en pensez-vous ?
- Je suis très prudent sur les qualificatifs. Ce qui est important en Corse, ce sont les phénomènes d'économie souterraine qui progressent.
- Sont-ils liés au grand banditisme ?
- Oui, mais aussi au banditisme local. Le grand banditisme est une question de degré, d'échelon. Il existe un banditisme de petits malfaiteurs locaux, des gens qui, par exemple, font du trafic de
stupéfiants.
La montée de ce trafic est assez bien maitrisée. Des coups sont portés au réseau. Le bilan de la justice est excellent dans ce domaine.
- Que retiendrez-vous de votre passage en Corse ? Est-ce plus difficile de travailler ici qu'ailleurs ?
- Lorsqu'on connait à peu près les interlocuteurs, on peut arriver à faire un travail satisfaisant et obtenir quelques résultats en ayant des ambitions raisonnées. Quand on a fixé des lignes de
politique pénale, il faut s'y tenir, être assez persévérant et mobiliser tous les acteurs pour parvenir à un résultat.
- Quelles sont les qualités pour être procureur en Corse ?
- La compétence et la sérénité.
Propos recueillis par Nicole MARI
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