Un colloque sur le thème : « De l’historiographie de la Corse : sources anciennes revisitées et inédites » est organisé, ces 25 et 26 novembre, au Conseil Général de Haute Corse et au Musée de Bastia par la Société des sciences historiques et naturelles de la Corse. L’occasion de mieux connaître cette société de chercheurs et de passionnés, créée par le Chanoine Letteron, et qui, depuis 130 ans, contribue, inlassablement, à sauver, préserver et étudier les archives insulaires. Un devoir de mémoire et d’érudition que nous explique son président, Francis Beretti.
- Présentez-nous cette Société des sciences ?
- C’est une société qui a été fondée à Bastia en 1880 par le Chanoine Letteron. Depuis 130 ans, elle fournit des publications principalement d’ordre historique, mais également concernant les
sciences naturelles. Elle a commencé à publier des sommes énormes de documents sur l’histoire de la Corse à un moment où il n’y avait pas d’université et où la publication de ce type de documents
était quelque chose d’inédit. Ainsi, elle a permis de sauver les documents qui dormaient dans les archives publiques ou privées.
- C’était le seul travail de mémoire fait en Corse ?
- Oui, jusqu’aux années 1920. Ensuite, ont commencé à surgir un certain nombre de revues. Plus récemment, l’université a donné un coup de fouet à la recherche. La révolution informatique a
facilité l’accès aux sources.
- Combien comptez-vous d’adhérents ?
- Environ 200 adhérents. Ce sont des gens qui s’intéressent à l’histoire de la Corse, pas seulement des universitaires, mais des érudits locaux et des passionnés qui font un énorme travail de
recherche locale.
- Organisez-vous souvent des colloques ?
- Nous nous efforçons de faire au moins un colloque de ce genre par an, plus une autre tribune et des publications. Nous publions deux revues : Le Bulletin de la Société des sciences, qui est
l’héritier du numéro originel datant de 1881, et Corse d’hier et de demain, dont le prochain numéro est sous presse, publie des actes de colloques concernant les universitaires. C’est une tribune
que nous avons voulu donnée aux étudiants.
- Pourquoi avoir choisi les sources anciennes et inédites comme thème de votre colloque ?
- Jusque dans les années 1914-1920, les auteurs publiaient surtout des documents bruts, sans commentaire, sans critique. Il s’agit, dans le colloque d’aujourd’hui, de faire un retour aux sources
en deux volets. Le premier est de réexaminer les sources qui ont été publiées jusqu’à présent en faisant une lecture critique. Le deuxième est de mettre en valeur des sources encore inédites et à
exploiter.
- Quelles sont ces sources inédites et d’où viennent-elles ?
- Les sources inédites varient de la Préhistoire jusqu’au 20ème siècle. Ce sont, par exemple, des fouilles qui n’ont pas été accomplies et que l’on pense riches d’enseignements, comme l’expose
Jean Graziani. Ce sont aussi des documents qui dormaient dans des archives et qui sont mis en valeur, commentés et critiqués. Par exemple : l’inventaire vestimentaire d’un vicaire général génois
en poste en Corse, inventaire qui n’avait jamais été exploité et qu’expose Aldo Agosto. Ou encore, comme le fait Francis Pomponi, une relecture de tout ce qui a été publié sur la Corse et le
Risorgimento. Egalement, la présentation, faite par Dominique Devaux, d’un personnage inconnu : Mr Touranjon, archiviste de la Corse de 1891 à 1916. Ce sont aussi des sources qui existent depuis
longtemps et qui n’ont pas encore été exploitées et publiées, comme les archives de l’enregistrement.
- Reste-t-il encore beaucoup de sources à découvrir et à exploiter ?
- Oui. Beaucoup de chercheurs s’attachent à retrouver des sources ou à les commenter. Le champ de recherches est très riche. La masse de documents inexploitée est volumineuse, que ce soit dans
les fouilles préhistoriques où il reste encore beaucoup à faire, que ce soit dans les archives manuscrites avec tous les fonds du Vatican, de Gènes, de Pise, de Florence, de Rome… Par exemple,
les archives de Gènes, qui sont essentielles pour l’histoire de la Corse, commencent à être exploitées de façon extraordinaire et apportent un flot de documents à étudier.
- Avez-vous accès au fonds du Vatican ?
- Des inventaires ont été faits, mais encore faut-il justement aller à la source et vérifier si ces inventaires ne sont pas corrigés. Tout n’est pas inédit, mais il reste encore beaucoup de
choses à découvrir.
- Antoine Franzini, dans son exposé, parle de sources fausses. Qu’est-ce qu’une source fausse ?
- Une source fausse est une source qui, pour nous, date du 18ème siècle, mais qui est supposée datée du 17ème ou du Moyen-Age. C’est un faux fait par un faussaire au 18ème pour une personne qui
voulait montrer que sa famille était noble. Ces sources fausses sont étonnantes, pittoresques, mais peu fréquentes parce que nous avons la possibilité de vérifier, par les écritures antérieures
ou postérieures, la nature du document, s’il s’agit d’un faux ou pas.
- Quelle est la période qui suscite le plus d’intérêt ? Est-ce la période Paoline ?
- La période Paoline commence à être bien connue, grâce notamment à la publication de la correspondance de Pascal Paoli par Antoine Marie Graziani, publication qui n’est pas achevée. Ces lettres,
qui étaient dispersées, sont rassemblées, ce qui donne une vision beaucoup plus cohérente et plus intéressante.
- Peut-être aussi moins mythique ?
- Oui, tout à fait. Il y a, en partie, une œuvre salutaire de démythification pour arriver à une histoire qui soit plus proche de la réalité, de la vérité.
- L’étude de ces sources inédites peut-elle changer le regard que l’on porte sur l’histoire insulaire ou juste l’affiner ?
- L’affiner certainement. Pour une vision beaucoup plus juste, plus équilibrée, surtout par rapport à l’environnement. Pour des raisons évidentes, à sa création, la Société des sciences s’en
était tenue à l’histoire locale. Aujourd’hui, de plus en plus, les chercheurs posent une perspective plus large qui prend en compte l’histoire de Gènes, de Pise et de ce qu’il y a autour. C’est
une contextualisation de la recherche.
- L’un des intervenants, Alain Venturini, parle des problèmes de l’historiographie corse. Quels sont-ils ?
- D’abord, l’isolement par rapport aux grands centres d’archives et des bibliothèques. Ensuite, à ses débuts, l’historiographie de la Corse a manqué de recul critique. Or le corpus critique
des sources est fondamental. Nous rencontrons aujourd’hui d’autres problèmes pratiques. Nous devons présenter au public ces sources mais les actes d’un colloque que nous organisons ne peuvent
être publiés que deux ans après à cause de problèmes financiers et d’édition. De plus, le bulletin est une formule un peu austère, pas adapté à la pratique actuelle du zapping.
- Avez-vous un problème de vulgarisation ?
- Oui. Nous vivons sur une tradition qui a 130 ans, mais nous devons nous adapter à un nouveau public, plus attiré par d’autres revues qui ont des photos et de la couleur. Depuis deux ans, nous
faisons un effort de publication de textes plus courts, plus simples et plus attractifs. Nous réfléchissons à une newsletter, une à deux fois par an, qui nous permettrait de diffuser nos
activités. Et puis, nous sommes en train de mettre en place un site Internet et nous étudions la possibilité d’un accès rapide au catalogue et au sommaire de notre énorme fond documentaire afin
qu’il soit accessible même en Italie.
Propos recueillis par N.M.
Le programme de samedi
Le colloque se poursuit le samedi 26 novembre à l’auditorium du Musée de Bastia, de 9 à 12 heures. Au programme, quatre exposés :
- Les pâles lumières d’un évêque de Sagone : la Corse, l’éducation, la foi dans la pensée de Pier Maria Giustiniani - Par Eugène Gherardi.
- L’apport des archives privées à l’histoire politique : l’exemple de Louis Costa, le notaire rouge – Par Vanessa Alberti.
- La paume de la discorde, rhétorique du discours pamphlétaire, l’Ajaccio vendicata dall’accusa di cospirazione contro l’impero francese d’Alexandre Colonna d’Istria – Par Christophe Luzi.
- La Corse au XIVè siècle, vue par les sources aragonaises et la chronique de Giovanni della Grossa. Par Philippe Colombani.
Modérateur : Victor Serafini
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