Violences faites aux femmmes : Une journée pour ne plus subir

Ce 25 novembre était la journée internationale contre les violences faites aux femmes et l'occasion de rappeler que ce combat est plus que jamais d'actualité. Malgré les campagnes d’information, les dispositifs d’aide mis en place et le renforcement de l’arsenal répressif, le nombre de victimes ne faiblit pas. Un Colloque, organisé à Bastia, a mis l’accent sur une violence encore plus ignorée : le harcèlement sexuel sur le lieu de travail. Malgré les idées reçues, la Corse n’est pas épargnée. Explications de Dominique Nadaud, déléguée départementale aux droits des femmes et à l’égalité.

Plus de 75 000 femmes sont violées chaque année en France, mais seulement 10 % portent plainte et à peine 2 % des violeurs sont condamnés. Plus de 150 femmes meurent, victimes de violence conjugale, soit une femme tous les deux jours et demi. En Europe, le harcèlement sexuel touche 40 % des femmes. Des chiffres qui font frémir et qui restent dramatiquement stable d'une année sur l'autre. Sacrée cause nationale en 2010 par le Premier ministre, François Fillon, la lutte contre les violences faites aux femmes patine. 
Briser la chaîne du silence
En Corse, en 2010, sur les onze premiers mois, 115 femmes ont porté plainte pour violences de la part de leur conjoint. En 2011, sur la même période, le chiffre atteint 125 femmes, soit une augmentation de 8 %.
« Ce chiffre ne reflète pas la réalité, parce que le plus difficile est d’obtenir des victimes qu’elles déclarent et portent plainte », commente Patrick Strozda, préfet de Corse. « Les femmes, qui sont victimes de violence, ont du mal à en parler, d’abord parce qu’elles se sentent coupables, elles veulent protéger leurs enfants et sont souvent dans des conditions de dépendance économique par rapport à ceux qui les violentent. Il faut donc mettre en place des structures pour les aider ».
Pour briser la chaîne du silence, le gouvernement lance une campagne d'information et de sensibilisation sur les violences conjugales, les viols et agressions sexuelles, justement intitulée « Osez en parler », et affiche le numéro public 39 19 d'aide aux victimes. En Corse-du-Sud, des plaquettes d’information « Stop aux violences conjugales, agir c’est le dire » listent la législation et l’ensemble des professionnels auxquels s’adresser en cas d’urgence.
Les violences faites aux femmes prennent des formes très variées : violences conjugales, harcèlement au travail, mariage forcé, etc. Elles sont prises en compte par l’Etat dans le cadre d’un plan triennal qui consiste d’abord à aider et protéger les victimes, ensuite à prévenir ce type de situation et enfin à sanctionner les coupables.
Le harcèlement au travail
A Bastia, un Colloque, organisé à l’Institut régional d’administration (IRA), avait choisi de se focaliser sur une violence particulière, sous-estimée, pour ne pas dire largement ignorée : le harcèlement au travail.
S’appuyant sur l’histoire française et Rousseau, Réjane Sénac-Slawinski, chargée de recherche au CNRS, explique que le combat contre les violences faites aux femmes se heurte à des préjugés fortement enracinés sur l’idée de la domination naturelle de l’homme. « Si beaucoup de pas ont été faits par la loi et les institutions, il reste des résistances culturelles. Nous sommes dans un pays de droits de l’homme très virils ».
Rappelant que la femme, longtemps considérée comme mineure, n’a acquis la citoyenneté politique, c’est-à-dire le droit de voter et d’être éligible, qu’en 1945 et la citoyenneté civile, c’est-à-dire l’égalité de contrat avec les hommes, qu’en 1965, elle fait le lien entre pouvoir hiérarchique et social et pouvoir sexuel. 
Un problème politique
Dénonçant l’impunité  de cette domination aussi bien dans la sphère privée que dans la sphère publique, elle appelle à un sursaut politique, à l’urgence de changer la loi et de faire évoluer les mentalités. « Les violences, que l’on veut souvent cantonner dans le cadre des relations inter-personnelles, doivent devenir un problème social et politique car c’est de l’ordre du respect de la démocratie ».
La loi, comme dans les affaires de meurtre, évolue souvent sous le coup de faits divers très médiatisés. Choquées par le classement sans suite de la plainte de Tristane Banon contre DSK pour cause de prescription, les associations féministes, soutenues par Roselyne Bachelot, ministre des Solidarités, militent pour l’allongement de trois à dix ans du délai de prescription des agressions sexuelles. 
Une violence invisible
Partant en guerre contre les idées reçues, Catherine Le Magueresse, juriste, ancienne présidente de l’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail, expose la réalité des violences sexuelles sur le lieu de travail que subiraient, en France, 19 % des femmes actives, c’est-à-dire en situation ou en recherche d’emploi. La récente médiatisation par les assistantes parlementaires du harcèlement qu’elles subissent au quotidien a permis de rendre visible cette violence que l’entourage ne voit pas et ne soupçonne même pas.
Pourtant ses conséquences sont dramatiques pour les victimes, car le traumatisme se double dans 95 % des cas par la perte de l’emploi. Les femmes sont soit licenciées, soit contraintes à la démission. C’est pour cela que la plupart, souvent en situation de dépendance économique, subissent en moyenne, au moins trois ans, ce harcèlement avant de porter plainte. 
La carence du droit pénal
Et là, se pose la question de la carence du droit et de la déqualification du délit. « Souvent les affaires d’agression sexuelle sont transformées en harcèlement moral par les avocats même des victimes, car les employeurs sont plus facilement condamnés pour harcèlement moral, où la femme est considérée comme une victime, que pour harcèlement sexuel, où la femme est suspecte », s’insurge Catherine Le Magueresse.
Au final, 80 % des affaires sont déqualifiées en pénal et beaucoup classées sans suite. De plus, les victimes sont souvent poursuivies pour dénonciation calomnieuse par leurs agresseurs. L’entreprise, comme la société, semble s’accommoder de ces comportements dont les auteurs sont à 60 % des récidivistes.
Cette journée internationale devrait rappeler l’urgence d’intervenir au niveau politique et législatif. La réponse ne peut être qu’institutionnelle et collective. Tant que le droit pénal ne sanctionnera pas plus sévèrement ces violences et leurs auteurs, cette journée ne sera qu’une journée de plus, une autre journée pour rien.
                                                                                                                                 N. M.

Dominique Nadaud : « La Corse n’est pas épargnée ».

- Quelle est la politique de l’Etat en matière de lutte contre les violences faites aux femmes ?
- C’est une politique nationale de lutte et de prévention dans le cadre de plans triennaux, qui définissent les grandes directives et les moyens afférents. Le troisième plan triennal, qui couvre la période 2011-2013, a été élargi non seulement à la lutte contre les violences conjugales, les mariages forcés, les mutilations sexuelles féminines et la polygamie, mais également à la violence au travail, les violences sexuelles et les viols. Trois actions sont prévues au niveau national : mieux mesurer cette violence, harmoniser la définition du harcèlement sexuel du code pénal et du code du travail à la législation européenne et mieux former les acteurs, notamment de la médecine du travail, de l’inspection du travail et des comités hygiène et sécurité des entreprises. 
- Quelles sont les différences entre droit français et européen ?
- Dans un cas, il faut qu’il y ait répétition pour prouver le harcèlement. Dans l’autre cas, une seule fois suffit. 
- En quoi consiste concrètement votre mission sur le département ?
- Ma mission consiste à mettre en œuvre la politique publique et de travailler sur les stéréotypes de genre, les représentations des métiers, l’orientation des jeunes filles, l’égalité professionnelle et salariale, la lutte contre les discriminations, le respect de la dignité de la personne, la lutte contre les violences faites aux femmes, etc. Concrètement, j’organise des colloques, je mets en place des commissions, j’initie le réseau Réactive et je développe des partenariats dans plusieurs secteurs avec le monde associatif, je mobilise les autres services de l’Etat qui peuvent être concernés.
- Qu’est-ce que le Réseau Réactive ?
- C’est un réseau d’action et un lieu d’échange, de formation et de réponses à apporter à des situations très concrètes. Depuis cinq ans, ont été mis en place des groupes de parole et des permanences psychologiques pour les femmes victimes de violence. Nous avons également fait une étude sur la prise en charge des auteurs de violences conjugales pour éviter la récidive. Tout un panel d’actions s’est construit sur le département de Haute Corse pour mettre en œuvre un certain nombre de réponses.
- Pourquoi, pour cette journée internationale, avoir choisi comme thématique : le harcèlement sexuel sur le lieu de travail ?
- Parce que c’est un des objectifs de l’élargissement du troisième plan et qu’il faut travailler sur ce problème. J’ai déjà accueilli des femmes qui étaient en très grosses difficultés sur leur lieu de travail, suite à des violences ou des harcèlements sexuels.
- Cette violence est-elle répandue en Corse ?
- Nous ne savons pas encore. Une étude spécifique va être faite pour la mesurer. L’étude est souvent le point de départ de la construction de réponses cohérentes, coordonnées, en synergie avec un certain nombre de partenaires : médecine et inspection du travail, associations… Un sujet devient important quand on l’a mesuré et qu’on peut apporter des réponses.
- Si on regarde les statistiques policières, la Corse semble plutôt préservée ? Mais l’est-elle réellement ou est-ce un non-dit ?
- En général, c’est les deux. Les violences intrafamiliales sont importantes en nombre et progressent. La Corse n’a pas un taux élevé de violences conjugales, mais n’en est pas exempte non plus. Il est vrai qu’un travail de longue haleine a été fait sur le terrain. Un numéro vert existe depuis 1994 pour écouter la parole des femmes victimes de violence conjugale. Les violences sexuelles, viols et agressions, ne sont pas nombreuses, mais ont été, en 2010, principalement le fait de violences intrafamiliales sur des mineurs. La société insulaire, même si elle garde encore quelques repères d’organisation familiale, connaît toutes les formes de violence faites aux femmes. Au moins une femme sur 10 en est victime. L’insularité ne nous protège en rien de rien. Il n’y a pas d’exception corse. 
- Et les violences dites traditionnelles qui touchent les populations immigrées ?
- Il n’y a pas de polygamie ou de mutilations sexuelles féminines parce que n’est pas présente sur le territoire la population sub-saharienne qui a ses pratiques traditionnelles et culturelles. Par contre existe la problématique du mariage forcé, mais on ne peut pas la mesurer. On sait que des adolescentes vont partir en vacances au Maghreb et ne vont plus revenir. 
- Y-a-t-il des milieux sociaux ou des zones géographiques plus touchés que d’autres ?
- Non. Les violences conjugales touchent tous les milieux sociaux et autant les zones rurales qu’urbaines. La Corse est un territoire traversé par toutes les problématiques sociales et sociétales.
                                                                                             Propos recueillis par N. M.

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