Me Gilles Simeoni : « Le Tribunal devrait sanctionner cette démonstration de scène de violence unique »

Avocat d’un des prévenus et leader nationaliste, Me Gilles Siméoni revient sur les raisons de cette manifestation et des débordements qui ont suivi. Il récuse la thèse du Parquet qui prétend que les lycéens ont été manipulés par des militants nationalistes et dénonce le principe de scène de violence unique sur lequel s’appuie le réquisitoire du procureur. Plaidant la relaxe, il évoque les lourdes conséquences financières d’une condamnation au civil pour les prévenus. 

- Vous avez débuté  votre plaidoirie en disant que vous avez une part de responsabilité  morale et politique dans cette manifestation du 4 avril 2009.

- Oui, dans la mesure où les raisons de cette manifestation sont au nombre de deux. D’abord, le sentiment d’injustice au moment du deuxième procès Colonna, du au cortège d’attitudes scandaleuses de la Cour d’assises spécialement composée et qui a d’ailleurs débouché sur une cassation. Ensuite, les très graves blessures subies par un tout jeune homme qui manifestait en soutien à Yvan Colonna. Incontestablement, on se sent responsable au moins au plan moral et politique de cette manifestation et même de ses suites fâcheuses, même si on n’y a pas participé.

- L’enquête suggère que ces suites fâcheuses ont été organisées et planifiées par des gens issus des mouvements nationalistes ?

- On l’a prétendu, mais, malgré toutes les investigations qui ont été diligentées en ce sens, rien n’a permis d’accréditer cette thèse policière. Si ce genre d’explosion de colère est toujours extrêmement regrettable et a des conséquences tout à fait dommageables et désolantes, il y avait, en même temps, un contexte qui avait préparé le terrain. Le degré de violence, rarement atteint dans les manifestations de rues, correspondait à un sentiment d’injustice et de révolte. La volonté d’en découdre était partagée et n’était pas seulement du côté des manifestants car tous les Bastiais se rappellent que la ville, ce jour-là, était véritablement en état de siège. C’était un peu la chronique annoncée d’une manifestation qui dégénère dans un climat sous tension depuis plusieurs semaines.

- On peut s’étonner qu’il y ait peu de nationalistes présents dans le public, juste une apparition furtive de deux leaders. On a l’impression que les Nationalistes veulent se démarquer de ce qui s’est passé ?

Je ne sais pas s’ils veulent se démarquer. Les jeunes prévenus ne sont pas des militants et n’ont pas revendiqué d’appartenance politique précise. La plupart d’entre-eux ont regretté les comportements qu’ils ont reconnus. On trouve aussi ces explosions de rage politico-sociales dans d’autres jeunesses européennes. Ici, elles ont certainement un lien avec le contexte corse, mais aussi avec un contexte plus global dans les sociétés occidentales où il y a une véritable angoisse par rapport à l’avenir, au sous-développement et à l’absence de perspectives.

- Le procureur distingue pourtant des prévenus adultes, qu’ils nomment des agitateurs et qui sont présentés comme ayant manipulés les lycéens.

Le dossier les concernant est extrêmement faible. Le procureur n’a pas paru convaincu dans ces réquisitions contre ceux qu’il présente comme des meneurs et qui contestent toute implication dans les violences décrites.

- Vous dénoncez le principe de scène de violence unique sur lequel s’appuie le réquisitoire du procureur.

- Ce principe est une construction juridique extrêmement dangereuse et anti-démocratique. Il dit que tous ceux qui ont été interpellés ce soir-là et tous ceux qui comparaissent aujourd’hui devant la justice ont participé à une seule et même scène de violence et sont tous solidairement responsables de tout ce qui s’est passé. Si je prends l’exemple de mon client, un jeune homme de 20 ans qui a reconnu, et c’est tout ce qui lui est reproché, avoir jeté trois pierres à 18h30 sur la Place Saint-Nicolas alors que les CRS étaient à plus de 80 mètres, des pierres qui n’ont pu manifestement atteindre personne. Le procureur de la République demande qu’il soit condamné, y compris pour les blessures qu’ont subies des gardes mobiles et des CRS à 20h30 ou à 21 heures, non pas sur la Place Saint Nicolas, mais sur la Place du Marché ou sur le Boulevard Paoli, à un moment où mon client n’était même plus à Bastia. Juridiquement, c’est très dangereux.

- Avec des conséquences au plan civil ?

- Oui. Si le Tribunal devait accepter cette théorie, cela voudrait dire que mon client, qui a tiré  trois pierres qui n’ont atteint personne, devrait indemniser la totalité  du préjudice subi par les 87 gendarmes qui ont été blessés ce soir-là !

- Si les prévenus ne sont pas solvables ?

- Mais si un jugement est prononcé  contre eux, il sera exécutoire pendant plusieurs dizaines d’années. On demande aujourd’hui une condamnation pour la totalité des dommages qui ont été commis, ce soir-là, par une centaine de personnes. Ce qui va se chiffrer à plus d’un million d’euros. Tous les mois, on prélèvera une partie des salaires des condamnés qui ne va pas éponger la dette qu’ils auront, mais qui suffira pour les empêcher de vivre normalement jusqu’à la fin de leurs jours.

- N’y-a-t-il pas un fonds de garantie pour les dommages ?

- Oui, mais le fonds de garantie se retourne contre l’auteur de l’infraction, s’il est condamné.

- Que plaidez-vous ?

- Je plaide la relaxe concernant mon client parce que j’ai démontré que, juridiquement, on ne pouvait pas le poursuivre. A mon avis, le Tribunal devrait sanctionner cette démonstration de scène de violence unique et refuser de prendre à son compte ce raisonnement.  

                                                                                                       Propos recueillis par N.M.

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