Anna Albertini, mamie corse indignée

 

 

 

 

 

 

Portrait . Intellectuelle, journaliste et écrivaine corse, Anne-Xavier Albertini a le parcours de vie hors pair et multicarte d’une femme de  qualités

Elle fulmine Anna, en évoquant ses lieux, ses attaches et ses projets. Ça n’est pas tant qu’elle s’enflamme à la moindre peccadille mais elle s’indigne. Elle s’indigne Anna. Elle s’indigne ! Devant la déshumanisation du monde, la déruralisation du territoire, la déperdition des savoirs et la démobilisation de ses congénères ; et fustige souvent les impatiences les plus crasses et les évidences trop apprêtées, du haut de ses très belles 80 bougies.
Elle aurait pu être de ces nouveaux papis, version corse féminine, rois de l’indignation sereine, les Hessel, les Morin, les Badiou, mais elle préfère l’éthique des luttes anonymes.
Fille incestueuse de croisements hétérodoxes : Corse d’origine devenue corse d’adoption puis redevenue corse d’origine, intellectuelle de gauche style bobo républicain et nationaliste pure et dure, cureuse de maux d’esprit et travailleuse artistique de mots.
Il faut plus d’un article pour dire de quoi Anna Albertini est le nom.

Anna-chronique
Embauchée à la clinique du cap en tant qu’infirmière en milieu psychiatrique, elle pose enfin ses valises à Luri en 1990. Tour à tour, animatrice radio sur Radio Corse à Ajaccio, militante fauchée à Appriciani dans les années 80, restauratrice et productrice artisanale de confiture à Renno, elle a bien rattrapé sa moitié de vie passée hors de Corse, à Marseille, où son père s’était exilé du quartier Saint Joseph de Bastia pour trouver le sou.   
« Je me suis battu pour pouvoir rester, gagner ma vie ». A 48 ans, elle dit stop ; stop au garde psychiatrique à la Timone, stop aux papiers du Provençal sous la direction de Jean René Laplayne, stop à la Tribune de Genève où son second mari suisse d’origine corse l’avait conduit. Elle rentre.
Qui sait mieux qu’Anna ce que prendre racine veut dire. Elle les a prises ses racines sans ne rien demander à personne, à l’âge où l’on connaît enfin le sens que l’on donne à une vie.  Chez elle, l’identité n’est pas un étendard que l’on brandi avec fierté, tout au mieux l’essence même d’une éthique du quotidien. Elle est entrée en culture comme on entre en religion, comme on cherche un sens en dehors de la matérialité.
L’affaire Bastellica Fesch sonnera le début de cette quête. Sous sa fenêtre, une jeune femme est assassinée par les gardes mobiles pour refus d’obtempérer, elle qui n’obtempère jamais.  « J’avais choisi mon camp ». Alors, elle s’insurge. Elle vitupère en direct à la radio, envoie une missive rageuse au préfet en place et démissionne. L’injustice fait naître des vocations.

Lettres d’Anna
Depuis que Claude Serillon a fait une critique élogieuse de son dernier livre « Le bar à tisane » sur le plateau de la cultissime émission de Michel Drucker « Vivement dimanche », son téléphone ne cesse de sonner. Elle est comme ça Anna, elle écrit des merveilles mais elle oublie de les faire distribuer. Alors elle fait tout le travail elle-même. Elle transforme le bureau de poste de Luri en une petite entreprise de distribution, au grand dam de la postière, elle envoie 30 à 40 livres par jours et écrit les adresses elle-même. « J’ai fait ça pendant quatre mois, ça m’a épuisé, je ne suis pas marchande de livres ». Comme si il fallait un exemple de plus pour dire comment les talents d’une île dépérissent du manque de structures et de moyens.
C’est qu’Anna n’a eu de cesse d’écrire des lettres sur des petits papiers. Papiers artistiques, papiers romans, papiers politiques, articles de presse, comtes, nouvelles, pièces de théâtre, poèmes, tracts… Anna est une femme de lettres. En 2000, est joué son « dialogue des Marguerites » à l’Astronef de Marseille, puis suivra Aubagne et les Teatrale de Bastia. Elle porte à bout de bras et bénévolement le magazine « Cap’intesu », outil d’information et de développement local.
Elle participe également à la création de sinemassoci, association pour le développement du cinema corse, écrit deux scénario, tourne un court métrage, participe a un ouvrage sur la double appartenance, la Corse une affaire de famille. En 2008, elle publie son dernier livre « Le bar à tisanes » aux éditions Materia Scritta, salué unanimement par toutes les critiques.
Déjà en 1975, son premier livre, « le journal fou d’une infirmière », avait secoué le monde de la psychiatrie et l’émoi de ses lecteurs. Difficile d’en sortir indemne tant il vous saisi, tant il bouscule avec une actualité confondante la perception de la folie.

Des projets
Même à 80 ans, il est toujours temps de se mettre en mouvement sur des chemins peu arpentés. Elle y croit au rural, elle croit que la Corse y trouvera son salut, il faut revenir planter en Corse, il faut réoccuper la terre, la travailler pour ne pas se la faire prendre. Voilà son credo, la vie au village. Les actes mêlés aux paroles.
Puisque les villages ne vont pas à la culture, la culture doit aller dans les villages. Elle veut faire rejouer une de ses pièces dans le Cap avec l'aide de Domino Orsatelli, organiser des expos pour que les gens se rencontrent, s’investir dans des initiatives citoyennes pour la valorisation du livre et de la créativité, l'operata Culturale, investir tout son capital humain pour l'écriture d'un prochain roman qui dira "comment on vivait avant la culture du fitness, comment on mangeait, comment on s'aimait, comment on avait peur quand l'alerte sonnait. comment mes grands-mères me racontaient la guerre de 14/18, les Teutons et les casques à pointes que je cherchais sous mon lit chaque soir" et comment continuer à s'indigner pour mieux avancer.
Lorsqu’on rencontre Anna, on est saisi. Elle a cette force de conviction des gens qui n’ont pas les conventions des discours d’appareils et des stratégies de com’ que la société du spectacle  impose. Sa voix calme, son regard tendre et acéré convaincraient les pires pessimistes. Elle ne claironne pas Anna, ni elle n’assène. Mais toujours, elle distille tendrement de douces vérités bien vivantes et bien humaines. Loin des fastes et des ronflements, elle expérimente chaque jour dans son monde à elle, une petite tambouille d'avenir.

Des mots d'Anna  extrait "Le bar à tisanes" éd. Matéria scritta

"Bourrées de désirs retenus, serrées comme une cocotte minute en ébullition, avec la culpabilité  inoculée dès leur naissance, sans évaporation possible, elles ont rêvé de quelques libertés souvent banales. Elles sont restées raisonnables, bonnes épouses, parfaites ménagères, couvant au fond de leurs intimes pensées, une réserve de jalousie piquante comme un oursin pour toutes celles qui osent vivre autrement : Ah ces femmes libres !"

 

"Santa, ce que vous demandez est impossible. On ne fait pas l'amour pour la première fois à 80 ans. Qu'est ce que c'est cette lubie? Ça vous tuerait.

- Ah oui, mourir d'aimer... Mais peut être pas. C'est vous qui le dites.

- Avec qui Santa ?

- Avec Pierre l'infirmier.

- Il a 35 ans et il n'est pas d'accord.

- Mais c'est un acte médical, pour me sauver."

 

"Les malchanceux sont souvent les mêmes, avides d'humanité. Il est petit l'être humain et n'a rien à lui s'il n'a pas la force d'un infini. S'il n'a pas eu les pieds plantés dans une vraie famille qui l'a construit jour après jour, au premier accroc il trébuche, croit que la vie l'a trahi alors qu'elle n'est que la vie, et son âme s'effrite."

 

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Commentaires: 2
  • #1

    Bernhard Gray (mercredi, 27 avril 2016)

    Fabuleux ton témoignage...
    Merci de ton humanité&de ton Humanisme..

    Bernhard

  • #2

    Anne albertini (mardi, 17 novembre 2020 20:10)

    Bonjour je suis au commissariat de marseie pourriez-vous me faire savoir si nous sommes parents éloignées mes filles recherchent des parents en corse et nous avons un parent nommé Georges gaspérini qui nous a laissé entendre que vous aviez beaucoup de relation sur l'ile merci de composer le 0488775800 et de demander le Nicole Mercier épouse albertini Georges