Le nouvel élu territorial au cœur de la négociation politique

 

 

Un enjeu important de la réforme des collectivités locales à venir sera la recherche d'un consensus sur le mode de scrutin de l'élu territorial. Il donnera donc lieu à une négociation importante et très politique

Comme nous l’avons vu précédemment, le mode de scrutin conditionne le fonctionnement de l'action publique de la collectivité concernée. La région, en charge des grandes orientations politiques, du développement économique, de l'innovation, de l’aménagement du territoire a adopté un scrutin proportionnel de liste qui favorise la vision politique d'ensemble.

A l'inverse, le département a pour mission l’assistance aux besoins, la solidarité et l'ancrage au territoire. Elle priviligie donc un scrutin majoritaire à l'uninominal qui personnalise l'élection et renforce la proximité. Ce sont deux logiques différentes auxquelles correspondent deux modes de scrutins différents.  

 

Les différentes logiques des modes de scrutin seront au centre d'une négociation entre deux tendances distinctes : départementaliser la région ou régionaliser les départements. Les élus voulant favoriser une orientation régionale, les nationalistes notamment, auront à cœur de faire prévaloir un scrutin à la proportionnelle sur des listes, alors que le scrutin majoritaire sera sollicité par les tenants de la logique départementale.  

 

Les paramètres à prendre en compte

A cela s'ajoute également le problème du nombre total d'élus. Au niveau national, la réforme applique, bon an mal an, un principe de division moyenne par 40%. La Réunion, elle, s'est vue imposer une diminution de 93 élus à 43 soit plus de 50% en moins.

En Corse, la réforme concerne 103 élus (51 élus à la région, 22 élus au CG 2A, 30 élus au CG 2B). Si on applique le ratio national, la Corse bénéficierait de 62 élus territoriaux. Ce nombre trop restreint d’élus ne sera pas retenu pour des raisons d’équilibre politique. 


Ainsi, les élus pourraient proposer une augmentation de leurs nombres jusqu'à 80 ou 90 conseillers territoriaux, voire plus. Auquel cas, le risque d'inconstitutionnalité n'est pas à exclure. Le conseil constitutionnel a censuré le projet de réforme pour certaines régions dont le nombre d’élus au prorata de la population dépassait trop la moyenne nationale. Ce risque serait donc un nouvel argument pour demander une réforme d'ordre constitutionnelle.

 

Le mode de scrutin retenu aura également une incidence sur la taille des circonscriptions. Pour l’élection régionale, il n’y a qu’une seule circonscription, pour les départements, il y a 52 cantons. Le mode de scrutin uninominal nécessite qu’il y ait autant de circonscriptions que d’élus (un élu par circonscription).  Inversement, à la proportionnelle, on peut fixer arbitrairement le nombre d’élus. En fonction du mode de scrutin, il faudra donc redécouper les circonscriptions.   


Plusieurs possibilités

 

On voit mal comment la réforme telle que proposée par le gouvernement Fillon pourrait être retenue par les élus de la Corse. Le mode de scrutin majoritaire à deux tours semble inenvisageable pour des raisons purement arithmetiques. Cela reviendrait à diviser le nombre d’élus par 2 pour passer de 103 à 52 élus pour 52 cantons. De plus, cette procédure causerait un problème de représentativité évident. Par exemple, si on applique cette règle aux derniers résultats électoraux, les élus nationalistes passeraient de 17 élus à 2. C'est pour cela que tout le monde s'accorde sur la nécessité d'une dose de proportionnelle.


A l’inverse, on pourrait envisager un scrutin totalement proportionnel à l’échelle de la région et à l’échelle de territoires très élargis. C'est-à-dire qu’il faudrait diviser la Corse en 8 à 10 microrégions pour assurer la représentativité des différents territoires. Mais cette proposition revient à supprimer la logique départementale et trouvera sûrement des adversaires conséquents.  

 

Un scrutin à l'allemande ? 

On ne peut pas préjuger des conclusions des travaux de la commission et de la position finale de l'assemblée puisque tout reste ouvert. Etant donnée la complexité  pour aboutir à un consensus, l'hypothèse la plus probable demeure le statu quo.


Cependant, si accord il y a, il pourrait se faire autour d'un scrutin mixte alliant la logique majoritaire et la logique proportionnelle. C'est un scrutin dit à l'allemande (Bundestag et Lander) où l'électeur dispose de deux voix et vote simultanément pour un élu dans des cantons et pour des listes à l'échelle de la région. Toute la difficulté serait alors de définir le pourcentage de proportionnelle et de majoritaire.  

 

Tout est envisageable. On pourrait diminuer le nombre de conseillers régionaux et garder intact celui des conseillers généraux (52) ce qui reviendrait à instiller une dose de proportionnelle au scrutin actuel (20, 30 ou 40 %). On supprimerait la difficulté très périlleuse du redécoupage des circonscriptions mais en contrepartie la région serait totalement départementalisée, à rebours de la logique de la décentralisation depuis 30 ans.

 

Prenons le cas le plus équitable où l'on couperait la poire en deux : 50 % de chaque en gardant un nombre élevé de cantons. Dans cette configuration hypothétique, tout dépendra du nombre d'élus total. Par exemple, sur 91 élus, 46 élus à la proportionnelle sur des listes au niveau régional et 45 élus à l’uninominale sur des cantons élargis pour pouvoir élire une personne par canton. Cependant, il faudrait tout de même redécouper les cantons pour passer de 52 à 45, ce qui semble, là encore, relever du numero d’équilibriste.

 

Le mode de scrutin mixte aurait l'avantage de combiner les deux logiques départementales et régionales. La portée de la réforme dépendra donc du nombre de conseillers généraux que l’on osera retrancher à l'équation ; l'objectif annoncé de cette réforme des collectivités locales étant de diminuer les dépenses publiques en diminuant le nombre d’élus.

 

D.B

 

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