Que cache la participation aux élections cantonales ?

 
 
 

A l'image de la mésaventure de Luri, au propre comme au figuré, les urnes s'enflamment en Corse. Alors la Corse est elle en bonne santé démocratique ? 


 
 

 


La Corse vote de façon très différente selon le type de scrutin, et le plus souvent à l'opposé des tendances nationales. Une fois de plus, à l'occasion des élections cantonales, le taux de participation en Corse est supérieur à la moyenne nationale : 66,5 % contre 44 % sur le continent. La tendance n'est pas nouvelle mais elle est particulièrement exacerbée cette fois-ci.

De cet état de fait naît souvent des analyses contradictoires. Alors que certains exhortent la fibre démocratique d'une société vertueuse, d'autres s'affligent des emprises clientélaires qui l'enserrent. Qu'en est il vraiment ?

 

Une tendance de fond ? 

 

Ce bon niveau de participation électorale confirme également les chiffres des municipales de 2008 et des régionales de 2010 où la Corse se positionnait à la 1ère place des régions françaises.

D'après la politologue E. Dupoirier1, l'électorat corse se singularise par une participation toujours très élevée aux élections municipales et régionales, supérieure à celle observée pour les élections présidentielles ou législatives, ce qui se révèle exceptionnel en Europe.

La participation à ces cantonales, malgré un contexte particulièrement défavorable, première fois qu'elles ne sont couplées à aucune autre, les dernières du genre pour des mandats raccourcis, actualité riche et envahissante etc…, confirme que la Corse n'est pas sensible aux contingences nationales ou internationales surtout dans une élection où les enjeux demeurent purement locaux.  

 

Des votes à enjeux 

 

Mais chose plus étonnante encore, les présidentielles et législatives de 2002 et 2007, qui se déroulent pourtant simultanément, enregistrent des tendances inverses. On constate que les législatives, élection certes nationale mais de personnalités locales, voient leur participation augmentée par rapport aux présidentielles jusqu'à devenir supérieur à la tendance nationale. Ainsi, ce n'est pas simplement l'enjeu local qui mobilise l'électorat mais plus précisément, la présence d'élus locaux.

Inversement, ce constat est contrasté par les referendums (2003,2005) et par les élections européennes depuis 1984 qui enregistrent des taux de participation très faible et inférieurs aux taux nationaux ? Ces élections concernent pourtant des enjeux locaux ou des personnalités locales.  En revanche, elles se différencient par un détachement de tout avantage directement mobilisable pour les électeurs. L'abstentionnisme électoral semble donc être inversement proportionnel à l'avantage personnel que les citoyens pourraient en tirer.

 

3 règles de base 

 

Il existe bien un fait électoral corse. Il dépend de trois paramètres primordiaux qui mobilise l'électorat : l'élection doit conférer un enjeu local, elle doit concerner une personnalité locale et être mobilisable en terme d'avantage pour l'électeur. Plus un scrutin remplit ces critères, plus la participation sera favorisée. En témoigne les élections européennes de 2004, les seules à ne remplir aucun de ses 3 critères. Elles battent le record national de l'abstention 72.3%. Comme le souligne J. Martinetti :"Voter pour élire un député européen semble avoir peu de sens pour un électeur en Corse".

Ce que confirme les taux de participation, ce n'est pas tant la vigueur démocratique de la société mais la personnalisation des scrutins comme tendance toujours vivace de la vie politique corse et l'intégration par les électeurs des avantages qu'ils peuvent en tirer. 

 

Des électeurs moins captifs ? 

 

Le géographe L. Merchez2 étudie les logiques du vote corse et sa répartition dans l'espace ce qui permet de mesurer les appartenances électives. Il constate que cette tendance de fond tend à s'éroder progressivement et que "des contrastes sont cependant visibles, entre monde urbain et monde rural, entre littoral et intérieur". Le vote tend à s'individualiser de plus en plus dans les grandes villes et dans les communes urbanisées du littoral, ainsi que le notait M. Lefèvre3 : "la ville libère de l'emprise du clan traditionnel"  

Divers phénomènes y concourt certainement : l'évolution des mentalités, la sursaturation de l'offre clientélaire administrative, la limitation de la fraude électorale, les préoccupations de la protection du littoral et le renouvellement des populations. Il semble y avoir de plus en plus de freins structurels, inhérents à l'évolution de la société corse, qui bouleversent un mode de captation électorale tendant à s'éroder.  

Et finalement ne serait ce pas le plus grand dommage que de voir les propres maux d'une société en devenir le vernis apparemment vertueux ?  

D.B

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